Dissertation rédigée pendant l'Agrégation interne de Lettres Modernes, session 2019, notée 18/20 : à propos de Marivaux et des 3 oeuvres: La Dispute, La Fausse Suivante et La Double inconstance
[...] Tout d'abord, les personnages « doubles » du dramaturge restent plongés dans une action qui risque parfois de les dépasser. C'est le cas troublant d'une Hermiane qui ne peut supporter un spectacle qui dévoile la mécanique des cœurs et soulève la fragilité de la loi amoureuse face aux imprévus porteurs d'inconstance. En dépit du couple « ex machina » arrivé dans la toute dernière scène (Dina et Meslis) et qui tempère cette inconsistance de l'amour, Hermiane sort de scène et si le Prince peut considérer cela comme un aveu d'échec, c'est sans doute lui-même qui est le perdant d'une femme qui – en ayant perdu ses illusions – abandonne aussi l'amour qu'elle aurait pu offrir au Prince. [...]
[...] Par ailleurs, Marivaux n'utilise pas seulement le mot pour trouver cet état d'instabilité entre déterminisme et hasard : l'invention des exceptions, de l'incongruité peut entraîner une 5 disruption féconde au déroulement mécanique de ses scènes. Certes, Silvia peut faire figure d'exception dans le monde trop poli de la cour du Prince – c'est du moins l'avis de Trivelin qui dès la deuxième scène de La Double inconstance doute de la réussite du projet du prince – et c'est justement cette exception qui conquit le cœur princier. [...]
[...] L'auteur lui-même peut être considéré comme un « spectateur » de sa vie et de la société qui l'entoure : si la vie est un spectacle (il n'est pas certain qu'il s'agisse d'une comédie), il devient aisé de comprendre pourquoi Rousset semble mettre sur le même plan le dramaturge – « ouvrier très conscient » - et ses personnages qui semblent lui échapper. L'expérience relatée dans la feuille I du Spectateur Français montre comment l'auteur, en surprenant une femme contrefaisant ses airs « naturels » et masquant sa coquetterie et son artificialité par une charmante composition, découvre « la machine de l'Opéra ». Il conclut que ces « tours de gibecière » continueront sans doute à le divertir mais le toucheront moins. [...]
[...] Le chevalier de La Fausse Suivante 3 se livre quant à lui à un jeu trouble, notamment vis-à-vis de la comtesse. En effet, le dénouement de l'intrigue aurait pu avoir lieu dès le premier acte, la fourberie du calculateur Lélio (qui trouve que « six valaient moins que douze ») ayant été rapidement dévoilée par ces propos si « raisonnables » et si peu amoureux. Le chevalier, qui trouve tout d'abord des raisons à prolonger l'expérience (se « divertir », « punir » le fourbe et « libérer » la comtesse de l'emprise de Lélio) semble néanmoins se laisser entraîner à la curiosité perverse de pouvoir sonder la noirceur des âmes quitte, paradoxalement, à la provoquer lui-même artificiellement : celle de Lélio qu'il enjoint à trouver le « courage » d'assumer jusqu'au bout son caractère de fourbe ; celle de la comtesse qu'il séduit littéralement et très virilement dans un jeu troublant des corps (il évoque la « belle bouche » de la comtesse à l'Acte III, scène 6 et c'est quasiment par cette didascalie interne que le chevalier lui fait prononcer un « je vous adore »). [...]
[...] Comment le théâtre de Marivaux, par une force en tension entre esprit de géométrie et esprit de finesse, par une écriture oscillant entre maîtrise et liberté, parvient-il à pénétrer les arcanes de la complexité humaine ? S'il semble dans un premier temps qu'une opposition franche entre nécessité et hasard structure nos trois pièces – selon la vision qu'en donne la citation de Rousset – force est de constater qu'une circulation, une porosité entre ces deux pôles nuance cette délimitation trop nette. [...]
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