Bien qu'en 1884, le psychologue Ribot mette en relief le fait qu'une personne n'est qu'une suite d'états variables, c'est Marcel Proust qui, en tant qu'écrivain, est le premier à consacrer une oeuvre de trois mille pages à ce qu' il nommait lui-même "la psychologie dans le temps". Dans cette oeuvre, en effet, le temps est le principal révélateur des personnages. S'il existe chez Proust, comme généralement dans le roman du XIXème siècle, des types humains (tel Legrandin, le snob, Cottard, médecin imbécile, Saniette, souffre-douleur des Verdurin), aucun de ses personnages ne demeure pour autant prisonnier d'eux ; loin s'en faut. Car le personnage proustien se définit avant tout par les secrets qu'il referme et que l'auteur lui-même ignore, que le narrateur cherche à découvrir, à éclairer, au moyen d'une lucidité, d 'une sensibilité, d'une intelligence peu communes, mais aussi grâce à la diversité des points de vue, toutes ces facultés étant elles-mêmes mises en mouvement et déployées par, et dans, le passage du temps (...)
[...] Toutefois, précise-t-il, chez Proust, l'absolutisation du sujet n'est pas une déclaration d'impérialisme mais une action à développer dans une œuvre à créer. L'écriture de l'œuvre apparaît dès lors comme une tâche inachevable, car indéterminée, puisque ses énoncés ne peuvent être vrais et prescriptifs que comme effort et tension d'une subjectivité à l'œuvre, celle de l'écrivain s'énonçant, se représentant et s'accomplissant dans celle du narrateur : précaires, révocables, formulés aux risques et périls de l'invention littéraire, et non pas jugements universalisables de goût et de vérité. [...]
[...] L'art permet d'accéder à autant de mondes différents qu'il y a d'artistes originaux. Ainsi, Le Temps retrouvé, dans l'œuvre d'art, est un temps compliqué explique Deleuze, un temps originel L'éventuel, chez Proust, est du domaine du virtuel. Apprendre, c'est se resouvenir, c'est essayer de retrouver ce réel idéal, ce monde des Idées, des essences ; mais se resouvenir, c'est aussi apprendre. Les personnages prous tiens portent en eux cette tension vers l'avenir puisqu'ils sont révélateurs des altérations du temps qui passe, puisqu'ils changent, évoluent, au point de pa –raître autres parfois, d'un volume au suivant. [...]
[...] Car son œuvre inaugure le changement de l'ensemble du système de lecture de l'homme. C'est en effet à partir de Proust, comme l'écrit Bernard Valette dans son Esthétique du roman moder ne, que la psychologie n'est plus tournée vers l'objet de l'observation, mais vers le sujet de la perception. Proust ouvre l'Ere du soupçon ère qui voit disparaître chez l'auteur, comme chez le lecteur, la foi dans le personnage de roman, foi qui, seule, le faisait tenir debout, solidement d'aplomb portant sur ses larges épaules tout le poids de l'histoire. [...]
[...] (Le Côté de Guermantes, 1920). Comme il arrive dans la vie, les personnages, au fil du temps et des volumes écrits, se révèlent différents de ce qu'on les a cru au départ. Il en est ainsi d'Odette, par exemple, que le lecteur découvre en premier lieu à travers le regard d'un enfant : elle est alors la dame en rose rencontrée chez l'oncle Adolphe, dans Du Côté de chez Swann , elle est ensuite Mme Swann, la voisine de Combray que l'on n'invite pas en raison de son inconduite. [...]
[...] (Le Temps retrouvé). Or, cette explication des signes se confond avec le développement du signe en lui-même écrit Deleuze : l'œuvre est donc aussi, et peut-être avant tout, le récit de ce dévelopement temporel , des signes et de leurs actions successives sur le héros de La Recherche. Dès lors, si l'on s'attache particulièrement aux signes du temps perdus, c'est-à-dire du passage du temps, ceux-ci nous sont particulièrement bien ré vélés par les effets du temps sur les visages qui nous furent familiers. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture