Dans l'Essai sur le don, Marcel Mauss déclare :« Dans nos masses et dans nos élites, la dépense pure et irrationnelle est de pratique courante ; elle est encore caractéristique de quelques fossiles de notre noblesse».
[...] Il est un facteur d'égalité face aux biens. Il obéit à une exigence de justice : le prix crée une valeur identique pour tous. Cependant, aux biens s'attachent des affects, des valeurs, qui relèvent de l'imaginaire social et non plus du besoin vital. Il est symbole de biens immatériels, qui s'attachent au prix des biens matériels. Il a créé la hiérarchie sociale, liée aux biens matériels, auxquels s'associent des valeurs intangibles qui justifient l'inégalité réelle. A ce titre, il est source de passions et de pathologies. [...]
[...] Dans la dépense comme dans l'épargne, il n'échappe pas aux lois de l'imaginaire qui ne connaissent pas de limites. L'argent est alors le vecteur de toutes les passions, jusqu'à la démesure - La passion du pouvoir. Ainsi, l'épargne sordide n'est-elle que le revers de la prodigalité, dont la dépense pure illusion, est une manifestation. L'avarice d'Harpagon révèle le désir de reconnaissance et la volonté de puissance qui l'animent. L'accumulation de ses écus fonde, sur le mode chimérique, son autorité et sa générosité. Le discours tient lieu du don, virtuellement justifié par la réalité de ses richesses. [...]
[...] Ici caricaturale en ce qui concerne Harpagon, la dépense pure est bien le symbole de cette distinction aristocratique dont cherchent à se prévaloir le fils et le père. Dans L'Argent, la dépense pure, au prix cette fois de la dépense utile, est le fait de la comtesse de Beauvilliers, qui vit dans la misère quotidienne pour consacrer ses maigres ressources à ses dîners mondains hebdomadaires, signes de sa grandeur passée - Le don crée ou assure la hiérarchie sociale, et confère le pouvoir au donateur. [...]
[...] Au contraire, Harpagon, lors de ses calculs sordides auprès de Frosine, à propos de Mariane, dont il espère tirer quelque chose fait figure de grossier individu. Dans L'Argent, Saccard acquiert aussi auprès du petit peuple des actionnaires, pour la fortune desquels il se dépense sans compter, et auprès des malheureux de L'Oeuvre du Travail qu'il administre, une reconnaissance impérissable. La dépense pure et irrationnelle est donc bien source ou signe de noblesse sociale et morale. L'échange existe, mais il ne relève pas du calcul comptable. [...]
[...] Mais on verra aussi comment ces valeurs, parce qu'elles sont irrationnelles, engendrent des passions contradictoires et pathologiques. On pourra enfin reconnaître en l'argent un symbole universel, révélateur de l'existence humaine, où sont mêlés inextricablement aspirations nobles et désirs triviaux. I - La dépense pure et irrationnelle, signe de noblesse sociale et morale Si l'argent est censé régler les échanges entre individus, il est cependant chargé d'affects. Ainsi échange-t-on dans le don, dépense pure et irrationnelle un bien matériel contre un bien moral, non mesurable rationnellement, mais source de confiance et de respect. [...]
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