Manhattan Transfer p.440-445, John Dos Passos, New York au XXe siècle, rêve américain, flux de conscience, réalité et visions, fébrilité du personnage, Dick Snow, déambulation chaotique, grattes-ciels, récit de l'échec, commentaire de texte
En 1925, l'écrivain John Dos Passos nous livre à travers son roman Manhattan Transfer une véritable peinture de New York et plus particulièrement du quartier de Manhattan durant le premier tiers du XXe siècle. Pour ce faire, il juxtapose avec brio différentes vignettes et mini-récits de vie d'une multitude d'individus : immigré, avocat, actrice dont les histoires s'entrecroisent parfois. Parmi eux, un jeune journaliste, Jimmy que l'on pourrait aisément désigner comme l'un des personnages principaux du roman et dont les tribulations concluent le récit. Jimmy est au centre de l'extrait auquel nous nous intéressons aujourd'hui, au début du chapitre 4 de la troisième partie intitulé "Gratte-ciel" de la page 440 à 445. Il s'agit de l'une des dernières occurrences du personnage, alors qu'il traverse quelques rues de Manhattan après qu'Ellen/Helena lui ait annoncé qu'elle ne l'aime pas et qu'un divorce se profile.
[...] Il y a confusions de pensées, de souvenirs, de paroles tout au long de l'extrait. Page 442, les pensées de Jimmy s'entrechoquent, mettant bout à bout quelques réclames publicitaires, mais également le souvenir des plaintes d'Ellen « Oh Jimps, je suis fatiguée, etc. ». De même, bien souvent, la description des sensations de Jimmy prend un sens si figuré qu'elle en devient surréaliste. Ainsi, page 442, le bousculement de répliques et de pensées, de bruits de la ville (éléments concrets) provoquent une sensation psychologique d'étouffement, de gonflement qui est décrite comme ayant physiquement lieu : « il commença à enfler, à se sentir tout gros et vague ». [...]
[...] Le départ semble alors nécessaire. Cette sorte d'obligation de quitter la ville s'inscrit déjà dès la page 441 avec l'impersonnel « Il faut qu'il reparte », présent détonnant dans la narration au temps du passé, qui connote une certaine frénésie, un besoin de fuite en avant. À de nombreuses reprises, Dos Passos utilise notamment le champ sémantique du départ et du déplacement : l'article de journal fictif correspondant aux pensées de Jimmy porte d'ailleurs le titre de « déporté », ce qui annonce déjà que le jeune homme cherche un autre lieu, comme un autre eldorado. [...]
[...] Des scènes complètement surréalistes sont également imaginées, notamment avec des bovins : les vaches tenues par les cornes se couchant sur les marches du tribunal et, encore plus incroyable, les « deux millions trois cent quarante-deux mille cinq cents » animaux du même type conduit le long de Broadway par ce personnage étrange voire inquiétant, comme on le verra, du ‘Shining Bootlegger'. Ainsi, par une vision de la ville sans aucune forme ni sens où l'absurde s'est emparé des êtres, Dos Passos introduit parfaitement la difficulté et l'échec de Jimmy à trouver sa place et à poursuivre le rêve américain, notion phare de la culture américaine ici mise à mal. III. [...]
[...] alors qu'il se trouve dans la rue. Les incohérences entre le contexte dans lequel le personnage évolue et le texte marquent donc cette vision brouillée, cet état fiévreux et fébrile du personnage, réalité ou hallucination, rien n'a plus de sens. Ainsi, page 443, comment pourrait-il s'être jeté du 24e étage puisqu'il s'interroge ensuite sur l'idée d'en finir avec Ellen et que plus tard, nous le retrouvons assis dans la ville ? L'irréalité et la confusion entre vision et réelle est d'autant plus frappantes que l'on assiste à un mélange des figures (Ellen et sa mère notamment) et des situations : son interrogation reprend les termes finals de l'épisode sur Dick Snow « satisfaire aux exigences du printemps/d'avril ». [...]
[...] Il annonce ainsi symboliquement son futur départ et un renoncement à l'idée de tout rêve américain, le rêve se trouve ailleurs que dans New York, plus loin. En conclusion Dans cet extrait, Dos Passos amorce avec brio la conclusion de son roman au travers du personnage de Jimmy. Jonglant habilement entre réalité et vision, sa poétique est mise au service de la représentation de New York, traditionnellement symbole de la réussite, du capitalisme, des Roaring Twenties et du Rêve américain comme espace clos, sans promesse, sans perspectives. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture