Le mythe de Corinne est celui d'une révolte qui échoue. Sa mégalomanie et son instinct autodestructeur tournent l'un et l'autre à la folie. Mais le lecteur ne se résigne pas au caractère inévitable de cet échec : il est plutôt conduit à le trouver évitable et regrettable. Nous sommes invités à nous révolter contre ce qui accable Corinne : la terreur qu'inspire à un homme la supériorité d'une femme
[...] Dans le cadre de sa réflexion sur le génie des nations, Madame de Staël fait dire à Oswald les raisons de cette perfection : " Mais l'une des causes de votre grâce incomparable, c'est la réunion de tous les charmes qui caractérisent les différentes nations. " (p.153) Ce texte, en faisant d'une femme l'héroïne, pleine, hypercaractérisée, d'un récit constitue une véritable révolution littéraire. Toutefois, il ne s'agit pas de fonder réellement un mythe ; il manque certains critères définitoires, dont, évidemment l'ancrage dans les temps primordiaux. Pour autant, la création de Corinne, maître de l'espace, polymorphe, est véritablement un événement qui fait date. [...]
[...] Or, on s'aperçoit qu'ils commencent majoritairement par le prénom " Corinne De plus, les héros de mythe ont une fonction symbolique : ils ont pour fonction d'accomplir et de dépasser un tabou de la société ; ce rôle à la fois social et psychologique, transfert d'un malaise réel, est lui aussi parfaitement pris en charge par Corinne quand on connaît l'histoire de Madame de Staël : lors de son voyage en Italie, cette dernière s'est éprise du jeune dom Pedro, lequel l'a finalement délaissée une fois qu'elle fût revenue en France. Des critiques, comme Ghislain de Diesbach dans Madame de Staël, attribuent cette rupture au tempérament possessif et à l'intelligence supérieure de la romancière. Et de citer Rosalie de Constant : " Si la trop célèbre avait eu moins d'esprit, peut-être aurait-elle été une excellente et heureuse femme. [...]
[...] Elle est celle qui a vécu et compris assez pour en retirer le sens de la vie. Corinne est aussi une femme sensible, que la connaissance ne réduit pas à un silence cynique ; elle est, avec Oswald, celle qui monopolise la douleur, la mélancolie, l'amour et tous les autres sentiments ; toutefois, elle dépasse Oswald par la connaissance immédiate des sentiments les plus profonds et les moins apparents de ce dernier. Corinne devient alors un substitut de l'écrivain d'autant plus qu'elle allie " l'imagination " à " l'observation des cœurs humains c'est à dire la capacité de sentir à celle de sentir celle des autres. [...]
[...] Or, le génie est le sujet du roman puisque Corinne est le symbole de celui- ci. De plus, les voix de la narratrice et de Corinne se confondent assez souvent pour qu'on ne puisse pas douter du parti à prendre ; à Naples, alors que Corinne arrive à repousser le moment de ses aveux, elle dit : " Ah ! qui sait si vous serez toujours le même pour moi, quand je vous aurai ouvert mon cœur, qui le sait ! [...]
[...] Où peut-on retrouver ses sentiments et ses pensées ? " Cette vision raccourcie de la vie de l'homme sur terre, ayant pour point de départ la souffrance et pour arrivée la mort, ne transitant que par la souffrance et l'oubli est la marque que ce texte n'est pas seulement le récit moderne du mythe de la femme délaissée, mais que c'est aussi une création que le XIX ème siècle reprendra, qui situe l'individu au centre d'une temporalité qui lui échappe et dans laquelle il ne peut se situer. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture