"Louise Labé est un mystère", comme l'énonce Mireille Huchon dès les premiers mots de son oeuvre critique Louise Labé, Une créature de papier. La poétesse apparaît dans le paysage littéraire lyonnais en 1555, avec ses Oeuvres, réimprimées en 1556. Sa vie est tout aussi énigmatique, et les débats concernant l'existence fictive, ou réelle, de "La Belle Cordière" ne cessent de fleurir. Comment aborder alors la figure de Louise Labé ? Pour répondre à cette question, il nous reste ses Oeuvres complètes, oeuvres dans lesquelles, pour les poésies, le "je" lyrique semble s'identifier, ou vouloir s'identifier à l'auteur, dans ses différents chants amoureux et réflexions sur l'amour. Nous allons donc prendre ce "je" lyrique comme tel. Intégré aux Oeuvres se trouve aussi le "Débat de Folie et d'Amour", texte témoignant d'une maîtrise pointue de l'art de la rhétorique et mettant en scène une joute oratoire entre Apollon, avocat d'Amour, et Mercure, celui de Folie. S'il s'agit plus dans ce débat d'une démonstration des talents de rhétoriqueur de l'auteur(e) que d'une théorisation de l'amour, les deux avocats y vont tout de même de leurs arguments, comme dans cette longue analyse de Mercure, reproduite plus haut, dans laquelle il dresse un portrait du comportement de la femme aimante, après avoir longuement résisté à Amour. Le sème de la douleur est très présent dans cette analyse, douleur de l'amante qui semble être présente dans toutes ces oeuvres poétiques. Cette représentation de la femme "prise" d'amour peut-elle s'appliquer au "je" lyrique de l'ensemble des Oeuvres ? Nous tacherons de répondre à cette question, en considérant tout d'abord la poétesse comme une figure emblématique de la femme "consumee" par une passion destructrice. Néanmoins, les nombreux témoignages d'un amour passionné dans les Oeuvres mettent aussi en avant un jeu délibéré entre le "je" dominant, qui fait "endurer le (...) mal à autrui", et le "je" dominé, assujetti à la passion, dans un perpétuel renversement des rôles (...)
[...] que me sert que si parfaitement Louas jadis et ma tresse doree, Et de mes yeus la beauté p. 134) et un présent douloureux où transparaît le départ de l'amant et la colère du je lyrique : Mais je m'assur', quelque part que tu sois, Qu'autant que moy tu soufres de martire. Enfin, dans le sonnet suivant, qui est le dernier, le sujet lyrique semble effectivement être revenu de ses erreurs, en souffrir tout de même, mais en les reconnaissant, ce que l'ont peut toujours rapprocher de la lignée Pétraquiste : Las que mon nom n'en soit par vous blamé. [...]
[...] Néanmoins, elle porte aussi un certain regard critique sur les personnes prises d'amour, et place la passion amoureuse sous le signe de la dissymétrie. Tout comme le dit Mercure lui-même dans la suite de son discours, l'amour devient alors, plus qu'une force qui réduit l'être à sa seule passion, l'inspirateur premier de toute poésie. Nous pouvons alors signaler, pour finir, le paradoxe entre l'Epitre dédicatoire qui invite les Dames à écrire, et le dernier sonnet, qui invite les Dames lyonnoises à ne pas résister à amour, et à se garder du malheur amoureux, alors que, il me semble, c'est le malheur amoureux même qui est à l'origine de nombreuses pièces poétiques des Oeuvres de Louise Labé. [...]
[...] La toute puissance de l'amour se transforme en toute puissance créatrice, essentielle au poète. Le point de vue de l' Epitre dédicatoire peut alors s'appliquer à l'ensemble de l'œuvre. Par écrit, on retrouve un sentiment passé, dont la trace a pu être perdue dans la mémoire du poète. Apollon le dit lui-même dans le Débat être poète, c'est avant tout être amoureux. Louise Labé se situe alors clairement dans la lignée de Pétrarque, dans l'analyse de ses passions insatisfaites et de ses effets sur elle-même. [...]
[...] 110) Ainsi, l'analyse de Mercure ne s'applique pas entièrement à Louise Labé, mettant de côté ce côté critique et amer pourtant bien présent, pour ne valoriser que la toute puissance d'Amour. Néanmoins, Mercure met en avant, en filigrane, le jeu de la femme séductrice prise à son propre piège, ce qui n'est pas sans rappeler la figure de Louise Labé courtisane, apparue dès le XVIème siècle : Ce n'est pas pour être courtisane que je lui donne place dans cette Bibliothèque, mais seulement pour avoir écrit en prose française [ ] (Antoine Du Verdier, Bibliothèque Française). [...]
[...] Ou quand d'un dous souzris Larron de mes esprits, Ou quand d'une parole Si mignardement mole [ ] (XVII Chanson, p.165). L'Euvre de Louise Labé est aussi une œuvre de la dissymétrie amoureuse, qui s'applique tant à la figure de Louise elle-même qu'aux exemples dont elle use. Les vers 85 à 90 de l'Elegie III témoignent en effet du caractère toujours changeant du sentiment amoureux : Paris ayma OEnone ardamment, Mais son amour ne dura longuement etc. (p.117) Nous pouvons trouver une explication concernant cette dissymétrie aux vers 115 de l'Elegie explication relativement intemporelle, d'ailleurs : Tel n'ayme point, qu'une Dame aymera : Tel ayme aussi, qui aymé ne sera : Et entretient, neanmoins, sa puissance Et sa rigueur d'une vaine espérance. [...]
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