Jean-Baptiste Oudry décora, au début du XVIIIème siècle, le salon du château de Condé, à la demande du Marquis Leriget de la Faye: plusieurs tableaux habillent parfaitement la salle, par leur taille tout à fait mesurée et leurs couleurs harmonieuses. Cependant, par ce travail fragmenté qui occupe tout l'espace, le peintre demande au spectateur de retrouver par lui-même l'unité de tous ses tableaux : en ayant une vision englobant le tout et en percevant ce qui est commun à toutes les parties de l'œuvre. Montesquieu n'accomplit-il pas cette même entreprise, à travers De l'Esprit des lois en 1748 ? Ne force-t-il pas son lecteur à comprendre ce qu'il y a au-delà de la fragmentation et du détail ? C'est ce que semble supposer Théodore Quoniam dans son Introduction à une lecture de l'Esprit des lois, en 1976 : « L'Esprit des lois est une quête de vérité qui se fait par approximations successives et qui exige de nombreuses pauses pour interroger et s'interroger. Un lecteur scrupuleux s'attachera avant tout à déceler et dissiper les équivoques qui tiennent à l'ambiguïté de certaines expressions clés et aussi au tempérament de l'écrivain. » Théodore Quoniam propose donc ici une méthode de lecture, en présentant De l'Esprit des lois comme une construction polyphonique, c'est-à-dire celle de Montesquieu, celle du lecteur, et pourquoi pas celle du monde et de la société. Il s'agit pour Montesquieu de faire de son « interlocuteur » un lecteur actif qui habite le texte par sa réflexion. L'œuvre se dresse comme un échange entre le lecteur et l'auteur-guide, qui permet la construction progressive de la vérité. Le morcellement apparent du texte et les espaces laissés dans le texte par l'auteur s'apparentent alors à une forme d'invitation au lecteur pour que le duo se dirige vers une vérité, un concept. Cette dernière observation conduit à se questionner sur le rôle de l'auteur : Montesquieu écrit-il pour écrire, pour informer, pour divertir, pour montrer une réalité sur le monde ?
Quelle devient la fonction de l'écriture dans De l'Esprit des lois et comment le lecteur s'y adapte-il au moment de sa lecture ?
[...] Quelle devient la fonction de l'écriture dans De l'Esprit des lois et comment le lecteur s'y adapte-t-il au moment de sa lecture ? Une interrogation sur cette quête de la vérité dans les livres XXIV, XXV et XXVI de De l'Esprit des lois paraît incontournable. Puis, l'analyse de la place conférée au lecteur conduira à s'interroger sur le fonctionnement du duo entre auteur et lecteur. Enfin, quelle vérité l'auteur transmet à son lecteur et quel devient le statut de Montesquieu ? L'œuvre de Montesquieu est-elle une quête de la vérité ? [...]
[...] Depuis le Dictionnaire historique et critique de Bayle et l'Entretien sur la pluralité des mondes de Fontenelle, on sait qu'il faut lutter contre les préjugés transmis par l'Autorité et la Tradition. Montesquieu travaille en duo avec son lecteur pour donner à voir l'absurdité de ces traditions, en situant son œuvre à l'intersection du droit, de la philosophie et de la littérature. Ce mélange permet à Montesquieu, par un texte riche en références, de couvrir ses critiques, ses idées et sa subjectivité, pourtant extrêmement présentes au sein du texte, afin d'éviter la censure menaçante. [...]
[...] De même, avec Les Lettres philosophiques de Voltaire et De l'Esprit des lois, pour la première fois, la religion et les lois sont considérées comme datées et soumises à l'usure du temps. Montesquieu critique implicitement son époque, et se fait par là philosophe des Lumières : au chapitre I du livre XXIV, on observe le champ lexical de l'obscurantisme : ténèbres épaisses abîmes profonds Cette critique est certes couverte et camouflée par d'autres formules, mais bel et bien présente. De même, les nombreuses équivoques, comme celle du mot esprit lois ou encore police sont stratégiques et permettent à Montesquieu d'insérer la critique subversive dans le fond, tout en maintenant une forme en accord avec les règles souscrites par les censeurs. [...]
[...] S'agit-il de l'esprit des lois ou de celui de l'auteur ? S'il se revendique écrivain politique au début du livre XXIV, Montesquieu est d'abord un homme, comme il le dit lui-même : je suis nécessairement homme Ainsi y a-t-il bien plus qu'une simple vérité sur la société qui culmine dans l'indicible. L'indignation, la révolte, la sensibilité, l'humanité, transparaissent derrière ce texte poreux, malgré ses apparences de traité scientifique. Et ils sont extrêmement importants parce qu'ils engagent les convictions de l'écrivain, c'est-à-dire sa personne, son moi. [...]
[...] Bertrand Binoche évoque la science nouvelle que tente de mettre en place De l'Esprit des lois. C'est bien qu'il ne s'agit plus des sciences exactes. En réalité, Montesquieu n'utilise que la méthode de la science, qu'il a transposée aux problèmes sociaux pour parler des sciences humaines. Bonnet lui fait même le compliment, en 1753, d'avoir découvert les lois du monde intellectuel comme Newton avait formulé celle du monde matériel Il met ainsi l'homme et les valeurs humaines au cœur de ses questionnements. [...]
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