Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié

Résumé du document

Dans la préface de son 'Dictionnaire philosophique', Voltaire s'interroge sur la nature de l'utilité d'un livre. Qu'est-ce qu'un livre utile ? A priori, un livre est utile à son lecteur dès lors qu'il lui apprend quelque chose. Voltaire précise cette définition : 'Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié'. Ce ne serait donc que dans son rapport avec le lecteur que le livre manifesterait son utilité. En ce sens, comment la participation du lecteur au livre qu'il lit témoigne-t-elle de l'utilité de ce livre ? Comment se fait cette participation, qu'est-ce que cette utilité et qui en bénéficie-t-il ?

Extraits

[...] Transition Que le lecteur tire des enseignements de ses lectures pour son approche de la société ou pour sa propre vision de lui-même, ou qu'il prenne part à l'expérience que lui présente le livre, toutes ces formes de participation du lecteur témoigne bien de l'utilité du livre. Toutefois, les lecteurs ne font pas encore ici à proprement parler la moitié du livre, mais ne font que tirer partie de l'enseignement que le livre peut leur apporter. Les livres les plus utiles sont ceux qui ne vont pas apporter quelque chose directement au lecteur, mais qui vont le forcer à faire la moitié, c'est-à-dire à un travail par lui-même Ainsi, l'utile passe du profitable au fructueux : le livre stimule l'esprit créatif du lecteur. II. [...]

[...] Quelques siècles plus tard, Kundera ne manquera pas de faire ce travail d'imagination : dans sa pièce Jacques et son maître, il suit en effet le précepte de Diderot, et dit : Cette pièce est ma forme à moi, ma rêverie, ma variation sur le roman de Diderot En effet, alors que le français avait laissé la fin de son livre en suspens, développant trois possibilités mais ne tranchant pas entre elles, Kundera fait lui son choix et clôt sa pièce sur les retrouvailles des deux personnages qui reprennent leur chemin, sorte d'histoire sans fin. Le roman de Diderot a ainsi permis la création, originale, de Kundera. La lecture, une création incessante Mais on peut dépasser cette imagination en quelque sorte a posteriori, imagination volontaire et après réflexion tout du moins. En effet, le lecteur imagine sans cesse au moment même où il lit : il spécule, anticipe constamment sur ce qu'il est en train de lire. [...]

[...] En effet, le fait que l'auteur se trouve dépossédé de son œuvre propre est en fait indispensable pour qu'elle existe pleinement. Autrement dit, par sa participation au livre, le lecteur ne fait pas qu'en déposséder son auteur, mais accomplit par-là même une action essentielle pour le livre : il lui fait perdre son statut de création subjective ; en un mot, il l'objective. C'est l'idée que Sartre développe dans Qu'est-ce que la littérature ? : Puisque la création ne peut trouver son achèvement que dans la lecture, puisque l'artiste doit confier à un autre le soin d'accomplir ce qu'il a commencé, puisque c'est à travers la conscience du lecteur seulement qu'il peut se saisir comme essentiel à son œuvre, tout ouvrage littéraire est un appel. [...]

[...] Le livre utile est celui qui va faire naître chez le lecteur un certain ²savoir-lire², qui est une condition nécessaire pour pouvoir ensuite profiter du livre. Commençons donc juste par un bref examen de ce savoir-lire : en quoi consiste-t-il ? Quels en sont les principes essentiels ? Le livre utile va stimuler et forger l'esprit critique du lecteur. Le romancier apprend à ses lecteurs à comprendre le monde comme une question dit Kundera. Il faut que le lecteur sache prendre du recul par rapport à ce qu'il lit. [...]

[...] A travers les capacités créatrices de son imagination, le lecteur pourrait prendre part à la création même du livre. La lecture est bien cet acte par lequel le lecteur induit, déduit, extrapole, fait des liens, etc. Mon livre achevé, je tire la barre, et laisse au lecteur le soin de l'opération ; addition, soustraction, peu importe ; j'estime que ce n'est pas à moi de la faire. Tant pis pour le lecteur paresseux : j'en veux d'autres dit ainsi Gide dans son Journal des Faux-Monnayeurs. [...]