Les écrivains se sont souvent révélés très influents au sein de la société. Ils ont écrit sur leur temps, les moeurs, les coutumes ou la nation et leurs écrits ont suscité de nombreuses réflexions.
Mais est-ce « en faisant rire ou sourire qu'[ils] amènent le mieux leurs lecteurs à réfléchir » ? A la vue de ces mots, jouer du comique, de l'humour discret à l'ironie mordante, serait pour les auteurs le meilleur moyen de conduire vers ce but ; provoquer une réaction physique serait pour eux le meilleur moyen de conduire vers une réaction mentale. Comment cette méthode permet-elle alors de pousser vers cela ?
S'ils semblent par certains aspects favorables à la réflexion, le rire et le sourire ne comportent-ils pas également certaines limites, et le plus important n'est-il pas, du reste, de savoir conserver ses distances et son esprit critique ? (...)
[...] Percevoir le désir de l'auteur de faire rire, ou du moins sourire, est certes important, mais n'apparaît-il pas difficile pour le lecteur de mener une réflexion efficace s'il s'arrête à cet aspect divertissant ? Rabelais encourageait dans le prologue de Gargantua à rompre l'os et sucer la substantifique moelle à découvrir que les matières [ ] traitées ne sont pas si folâtres que le titre prétendait Rire risque ainsi de laisser enfoui l'idéal humaniste qui se dégage de cette œuvre et d'aveugler sur les messages dissimulés d'un texte, rire risque aussi d'amener à considérer comme sérieux un sujet léger lorsque par exemple Voltaire conclut gravement dans Jeannot et Colin qu' après avoir examiné le fort et le faible des sciences il fut décidé que monsieur le marquis apprendrait à danser rire risque d'amener à considérer, à l'inverse, un sujet sérieux comme léger lorsque ce même philosophe dépeint dans Candide les autodafés comme le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu et de faire oublier à un lecteur influençable et non averti le sens des valeurs humaines, rire oblige à se reconsidérer et risque d'amener quelques désillusions : les portraits, parfois poussés jusqu'au ridicule, de Montesquieu dans les Lettres persanes font pour la plupart irrésistiblement sourire, mais, si grotesques soient-ils, il est délicat d'affirmer qu'ils ne sont pas réalistes et qu'il est impossible de s'assimiler à ces français qui ont oublié comment ils étaient habillés cet été ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver à cette femme qui dans un temps avait le visage au milieu d'elle-même et pour quoi dans un autre, c'étaient les pieds qui occupaient cette place rire demande au lecteur d'accepter un travail sur lui et nécessite de sa part une grande lucidité. [...]
[...] III] Le plus important est finalement de conserver son esprit critique. Qu'il soit ou non dangereux, quelles que soient ses limites, l'essentiel est peut-être, pour bien considérer un sujet, de garder son sens critique : les écrivains ont de tout temps poussé la société à la réflexion et ont souvent mis en relief l'absurdité de certaines situations, mais il paraît nécessaire pour le percevoir de savoir prendre du recul par rapport à un texte. Les écrivains aident à la réflexion. [...]
[...] Il est délicat de formuler une réponse à cette question, mais, toujours est-il que le rire, s'il peut, selon le philosophe, fermer les yeux sur des problèmes, peut aussi être l'élément qui aide au recul, et, par cela, les éclaire. C'est grâce aux scènes franchement comiques qu'il a introduites parmi le tragique de La Guerre de Troie n'aura pas lieu qu'il est possible de se détacher du tragique exposé par Giraudoux et de se livrer plus facilement à une réflexion profonde sur la guerre et plus particulièrement la seconde Guerre Mondiale, c'est en ayant choisi de faire sourire en racontant la vie tourmentée et parfois malheureuse de Figaro que Beaumarchais aide à conserver un regard mesuré sur son texte ; lorsque l'auteur expose dans une tirade les différentes mésaventures de son héros, lorsqu'il qualifie la Bastille de château fort en ironisant et en décidant de ne jamais s'apitoyer sur son sort, il permet au lecteur ou au spectateur de conserver ses distances par rapport à ce qu'il dénonce, il lui permet de le considérer avec plus de pertinence que s'il recherchait ses larmes ou sa pitié. [...]
[...] On ne peut s'empêcher de sourire à la lecture de ces textes ; aux premiers mot du Loup et l'agneau : La raison du plus fort est toujours la meilleure semblent répondre les derniers des Animaux malades de la peste, Selon que vous serez puissant ou misérable Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir De quoi rester pensif quant à l'égalité des hommes face au pouvoir royal et à la justice, qui en dépendait, et se rendre compte que de grandes idées et valeurs humaines peuvent passer à travers le rire, qui amorce des débats sans en fermer l'issue. Le rire permet de conserver un débat ouvert. Il permet de s'exprimer, mais aussi de soulever des questions. Voltaire, dans son pamphlet De l'horrible danger de la lecture, fait sourire et suscite dès le titre l'intérêt de ceux qui découvrent son texte : n'est-il pas étonnant, pour un écrivain, philosophe des Lumières, d'intituler ainsi l'un de ses écrits ? [...]
[...] C'est ainsi que l'auteur du Traité sur la tolérance, en faisant rire, en en donnant l'impression d'interdire les livres et tout accès à la culture, met face à une interrogation, exprimée implicitement, qui pourrait se traduire par peut-on empêcher les idées et la pensée de circuler ? et éclaire l'un des points majeurs de l'existence, sans toutefois y apporter de réponse, laissant ainsi la place à une délibération. S'il ne soulevait pas nécessairement les mêmes problèmes, Montesquieu empruntait un chemin similaire pour les aborder : faire éclater l'enjeu essentiel de ses textes par le non-dit. [...]
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