« From me do back receive the flour of all/And leave me but the bran » (1.1.142-143). Par ces quelques vers, Menenius, propose un idéal de lien fondé sur le partage de la nourriture à travers la fable du corps. Politicien démagogue, il défend devant les citoyens romains une vision harmonieuse et hiérarchisée de la société. Par lien, nous entendons l'établissement des relations d'interdépendance au sein de la famille, de la cité, de la culture, de l'histoire et au niveau personnel avec son propre corps. Pourtant, paradoxalement, Coriolan semble être la pièce de l'impossibilité du lien tant son héros éponyme se veut être le seul auteur de lui-même. Par cette déclaration surprenante, il dénie toute filiation d'ordre familial ou historique. Dans la mesure où il se perçoit comme une créature surgissant ex nihilo ne devant rien à personne, n'ayant aucune dette vis-à-vis d'autrui, il répudie d'emblée toute nécessité d'avoir à créer ou maintenir des liens avec l'altérité. La seule médiation que le héros accepte est celle des dieux car il s'agit d'un lien absolu et non contingent.
Toutefois, Coriolan assume le rôle de défenseur et de représentant de Rome, ce qui le place dans une relation de dépendance et de filiation vis-à-vis de sa cité. Il cherche la ratification et l'approbation de ses actions guerrières dans le regard d'autrui. Dans ce souci de reconnaissance de ses prestations, Coriolan recherche constamment l'assentiment de sa mère à laquelle il reste excessivement attaché.
Dans ces conditions, l'étude du lien dans Coriolan nous amène à nous interroger sur la dialectique entre isolement et réciprocité, entre autonomie et association, entre dépendance et auto-réalisation sachant que le héros récuse les médiations tout en continuant à en dépendre. Dans ces conditions, dans quelle mesure la pièce de Shakespeare problématise la crise du lien sachant que Coriolan est un héros isolé ? Mais au-delà du héros, nous nous demanderons en quoi le langage traduit cette crise et quelles en sont les conséquences sur la poétique de cette pièce ?
[...] Ainsi, les seuls liens existants dans Coriolan sont synonymes de débordement, d'accaparement et d'altération. En conséquence, parce que le lien est mis à mal, ce dernier devient une source d'ambiguïté. L'individualité absolue revendiquée par Coriolan est vouée à l'échec, car l'action valeureuse ne s'opère que par le regard de l'autre. Le fantasme du guerrier est donc poreux, ce que lui-même reconnaît finalement dans la scène d'anagnorisis que constitue la scène 5.3 .36-37 où il affirme : As if a man were author of himself/ And knew nothing and knew no other kin (l.36-37). [...]
[...] Dans ces conditions, dans quelle mesure la pièce de Shakespeare problématise la crise du lien sachant que Coriolan est un héros isolé ? Mais au-delà du héros, nous nous demanderons en quoi le langage traduit cette crise et quelles en sont les conséquences sur la poétique de cette pièce ? Tout d'abord, nous montrerons que la notion de lien est mise à mal. Puis, nous étudierons en quoi cette crise produit un nouveau type de médiation caractérisée par l'excès et le débordement. [...]
[...] 114) à tent (v. 118) et armed knees (v.120). L'emploi de métaphores, figures par essence médiatrice, est toutefois relativement limité. L'architecture linguistique de Coriolan se fonde principalement sur des structures comparatives. En effet, la comparaison par le truchement de l'outil comparatif permet de recréer du lien. Les expressions comparatives telles que rather than ou like sont ainsi parmi les plus élevées de tout le corpus shakespearien dans Coriolan. Néanmoins, en montrant ce lien, la comparaison réduit la force de l'image produite. [...]
[...] Le héros guerrier affirme ainsi: I go alone/ Like to a lonely dragon ( 4.1 .30-31). Il en résulte que les thèmes principaux de la pièce concernent l'auto-affirmation, l'auto-suffisance, voire l'auto-cannibalisme. Coriolan s'illusionne sur le fait qu'il est à lui-même sa propre origine, ce qui lui permettrait de se libérer des liens qui l'unissent à sa famille et à sa cité. Il rêve de devenir un être pouvant s'autogérer et capable d'organiser sa propre naissance et ses propres lois. C'est ce qu'il croit avoir réalisé à la fin de l'Acte I lorsqu'il ressort de la bataille de Corioles, ensanglanté et doté d'un nouveau nom. [...]
[...] La poétique de Coriolan se caractérise par la prédominance d'un discours hurlé. Ce crachat de la langue, ce venting qui est le propre du guerrier traduit l'absence de médiation entre sa bouche et son cœur, comme l'indique Ménénius : his heart's his mouth ( 3.1 .259). De même qu'il refuse de créer des liens avec les membres de sa cité, Coriolan rejette toute coordination entre ses organes. Coriolan se plait à utiliser de nombreuses hyperboles comme s'il souhaitait, par le langage, se distancier des plébéiens qu'il méprise. [...]
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