Au Ier siècle av. J.-C., Démétrios de Phalère écrivait : « C'est presque l'image de son âme que chacun trace dans une lettre ». Un tel propos montre à quel point la lettre familière, loin de ne faire qu'allégeance à l'autre, se tourne aussi vers soi. Il semblerait que Madame de Sévigné dans les Lettres de l'année 1671 en fasse de même. La correspondance avec sa fille montre donc un rapport fusionnel où parfois l'écriture tend davantage à l'introspection et l'analyse de la douleur générée par la distance qu'à l'ouverture vers autrui. En cela, nous pouvons rejoindre le propos d'A. Bailly, lorsqu'il écrit dans Mme de Sévigné : « Quel torrent d'émotion et quel pathétique délire ! Mais aussi quel goût pour se mettre en scène vis-à-vis de soi-même, quel besoin de se transposer littérairement, de se contempler dans toutes ses attitudes, d'extraire le suc le plus subtil de sa souffrance, de ne laisser perdre aucune jouissance délicatement poignantes que l'on en peut tirer ! » On regroupe dans cette citation les termes relevant du registre émotionnel « émotion » accentué par le substantif « torrent », « pathétique », « souffrance », « poignantes ». Donc l'auteur de cette citation situe d'emblée les Lettres dans le côté amoureux, pathétique de la relation mère-fille.
Mais outre de renvoyer ces lettres dans le caractère émotionnel, A. Bailly note également le « goût pour se mettre en scène vis-à-vis de soi-même », « se transposer littérairement », « se contempler ». On retire de cela deux propos : d'une part, les lettres de Madame de Sévigné, outre la dimension « altruiste », opèrent un mouvement réflexif où le destinateur se contemple, écriture de l'histoire d'une âme en quelque sorte. D'autre part, l'idée de « se transposer littérairement » peut renvoyer à la polémique sur les Lettres et la littérature, Sévigné est-elle auteur épistolaire ou épistolière ? De plus, « transposer littérairement » implique donc le problème de la littérarité de la correspondance. Il ne faudrait pas oublier non plus le « que l'on peut en tirer » qui indique que le lecteur peut prendre modèle sur cette façon de ne « laisser perdre aucune jouissance délicatement poignante » donnant une orientation didactique aux lettres.
[...] Ainsi l'écriture des lettres de Sévigné apparaît comme un moyen de substitution à l'absence de sa fille. C'est alors que s'amorce dans les lettres le déchirement d'une mère, triste de cette distance et fragile de la douloureuse séparation. Par conséquent, les lettres disent sans cesse l'amour de Madame de Sévigné pour sa fille. Dans la lettre du 6 février 1671 qui suit la séparation, elle écrit : Il me semblait qu'on m'arrachait le cœur et l'âme [ ] Les premières lettres décrivent l'accablement, la douleur de cette séparation, tout en plaintes et de déclarations d'amour. [...]
[...] L'entre-deux : de la lettre à la littérarité. Le masque mondain de la marquise et la mère passionnée : création d'un auteur épistolaire ? La Marquise semble se dédoubler dans ses Lettres. Comme l'a souligné Bailly, l'émotion, la souffrance et la subtilité se retrouvent dans la correspondance ; mais d'un même mouvement, il y a cette pudeur dans l'écriture, cette retenue qui l'empêche de tomber dans le pathétique. Cette dualité chez l'épistolière n'est pas sans nous rappeler la polémique qui a animé Roger Duchêne et Bernard Bray autour de la question suivante : Madame de Sévigné est-elle une épistolière ou une auteure épistolaire ? [...]
[...] Cependant, on ne peut nier dans les lettres parisiennes, et même dans des lettres écrites en province, le ton léger, enjoué de Madame de Sévigné. Elle raille l'accent breton, dans une lettre écrite aux Rochers en août elle écrit on pâme de rire ou bien encore les coiffures à Paris font l'objet d'une lettre, autant de sujets qui présentent une autre facette de la marquise : celle de la mondaine, qui est le produit d'une société de lettrés et dont l'écriture abonde en références littéraires. [...]
[...] Cette double position de la part de Madame de Sévigné nous a amené dans un dernier temps à nous interroger sur le statut littéraire de la lettre où nous avons constaté l'ambiguïté de cette posture en épistolière ou en auteur épistolaire, mais où nous avons également démontré la verve critique qui se trace sous la plume de l'épistolière, faisant montre d'une véritable conscience littéraire. [...]
[...] Mais outre de renvoyer ces lettres dans le caractère émotionnel, A. Bailly note également le goût pour se mettre en scène vis-à-vis de soi-même se transposer littérairement se contempler On retire de cela deux propos : d'une part, les lettres de Madame de Sévigné, outre la dimension altruiste opèrent un mouvement réflexif où le destinateur se contemple, écriture de l'histoire d'une âme en quelque sorte. D'autre part, l'idée de se transposer littérairement peut renvoyer à la polémique sur les Lettres et la littérature, Sévigné est-elle auteur épistolaire ou épistolière ? [...]
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