On a souvent reproché au naturalisme ou au réalisme de dépeindre fidèlement la réalité, parfois jusque dans sa plus obscène crudité. Se pose alors le problème de la recevabilité de l'oeuvre par le lecteur... D'une manière générale, quel rôle joue la lecture dans une tension entre fuite du monde réel et de la "vie ordinaire", et renvoi du lecteur à lui-même et à son monde ? La romancière et essayiste Danièle Sallenave met en relief cette dialectique dynamique de la lecture qui "arrache [le lecteur]" à son monde", à ses "tracas sans gloire", tout en le rendant "autre, revu, éclairé". L'attente du lecteur serait ainsi double: d'une part, fuir la réalité et ses préoccupations triviales, et d'autre part, revisiter cette réalité même pour en "achever le sens" (...)
[...] Cette forme de littérature marque donc son orientationvers le délaissement de la réalité au profit du beau, de l'agréable pour le lecteur. Enfin, nous pouvons remarquer que le rejet du monde réel atteint son paroxysme avec la philosophie symboliste. Il s'agirait d'atteindre par l'arrt un monde spirituel idéal, en échappant à la réalité qui n'en serait qu'un reflet. Le poète, le "Voyant" selon Rimbaud, invite son lecteur à s'élever au-dessus d'une réalité médiocre et angoissante. Baudelaire, dans son poème l'Albatros, illustre cette démarche de fuite de la réalité par une comparaison du poète à un oiseau inapte à vivre sur terre: "Exilé sur le sol au milieu des huées / Ses ailes de géant l'empêchent de marcher". [...]
[...] En d'autres termes, la lecture permet une conception autre de la réalité, en proposant et en diversifiant chez le lecteur les modes de perception et de compréhension du monde qu'il habite. Nous avons pourtant mentionné un problème suscité par les réalistes et les naturalistes: est-il pertinent de poser une réalité objective comme objet de la littérature ? Ce soudain intérêt du monde de l'art pour le monde réel constitue au XIX° siècle une rupture avec les siècles précédents. Il ne s'agirait plus ici de montrer des récits héroïques, des lieux ou des personnages merveilleux permettant un éloignement du lecteur vis-à-vis du monde réel, mais au contraire de "promener un miroir le long d'un chemin", c'est-à-dire de dépeindre la réalité telle qu'elle est. [...]
[...] Le discours argumentatif y est un moyen parfois de faire réagir le lecteur lui-même, c'est-à-dire d'agir sur la réalité. La lecture du texte engagé, loin de constituer une échappatoire, ramène le lecteur à sa réalité et l'incite à penser sur elle. C'est le cas par exemple du poème d'Aragon La rose et le réséda: les couleurs de ces deux fleurs représentent celles des affiches annonçant l'exécution de communistes ou de Résistants par les nazis. Le lecteur y trouve des références politiques et historiques qui ancrent le poème dans un cadre réel. [...]
[...] Se pose alors le problème de la recevabilité de l'œuvre par le lecteur . D'une manière générale, quel rôle joue la lecture dans une tension entre fuite du monde réel et de la "vie ordinaire", et renvoi du lecteur à lui-même et à son monde ? La romancière et essayiste Danièle Sallenave met en relief cette dialectique dynamique de la lecture qui "arrache [le lecteur]" à son monde", à ses "tracas sans gloire", tout en le rendant "autre, revu, éclairé". [...]
[...] L'impossibilité de montrer la réalité objective à travers une œuvre littéraire (donc subjective) illustre le propos de Danièle Sallenave: le monde nous serait rendu "autre, revu, éclairé", même à travers le miroir du réalisme. Conclusion En conclusion, nous pouvons dire que la lecteur a pour première conséquence d'écarter la "vie ordinaire", la relation directe du lecteur à son monde concret. Certaines conceptions de la littérature font même de la lecture l'exploration d'un monde opposé à la réalité. Cependant, même ces distanciations avec le réel permettent de le comprendre, différemment. [...]
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