Une des conditions du succès d'un livre est la manière dont le lecteur le reçoit. Cette réception passe prioritairement par “l'identification”, cette sensation de familiarité qui invite à lire plus avant, voire à dévorer l'ouvrage page après page ; ce que Jean-Marie Schaeffer appelle le « pacte de feintise partagée ».
Pendant le temps de sa lecture, le lecteur s'identifie totalement au personnage, vit lui-même les aventures décrites, ressent les mêmes joies et les mêmes peines. Il accepte ainsi de croire que le monde du roman est vrai. Lire de la poésie ne relèverait absolument pas du même processus intellectuel. C'est ce qu'exprime Reverdy dans son Bloc-notes “39-40”, quand il écrit qu'«en lisant un roman, le lecteur ravi devient imaginairement un autre ou les autres » alors que « le poème l'émeut, mais le laisse en lui-même et plus intensément lui-même ».
Afin de vérifier la véracité de cette assertion, il nous faut réfléchir à ce qui dans l'oeuvre littéraire produit cette différenciation : la présence ou l'absence de personnages auprès de qui s'identifier, l'élaboration d'un univers particulier dans lequel le lecteur est invité à pénétrer seraient-elles les causes de cette “sortie de soi”, quand l'oeuvre poétique même narrative permettrait au lecteur de “rentrer en lui”, en renforçant la conscience de son être ?
Comment la poésie peut-elle être affirmation de soi pour le lecteur, contrairement au roman qui semble seulement superficiel et divertissant ? À l'aune de l'évolution des formes littéraires, cette distinction tranchée entre roman et poème peut-elle encore être défendue ?
[...] La poésie est donc ce qui permet au lecteur de mieux saisir son être, mais le roman peut lui offrir également le moyen de le faire. Lorsqu'il lit un roman, le lecteur s'identifie au personnage ou aux personnages afin de vivre leur histoire, de ressentir leurs émotions Cette identification est rendue possible si le personnage a des points communs avec le lecteur, si celui-ci est un meurtrier ou un homme qui ne partage pas les mêmes valeurs, le lecteur peut refuser toute identification et refermer le livre. [...]
[...] Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez- vous pas ? Ah ! Insensé qui croit que je ne suis pas toi. écrit Victor Hugo dans la préface des Contemplations. La poésie permettrait donc de saisir la réalité des émotions : le je transparaît, surtout dans la poésie lyrique avec les images qui se répandent à travers les strophes, et se trahit, montrant le rapport naturel entre la poésie et l'inconscient. [...]
[...] Au cours de sa lecture, il s'identifie aux personnages, mais une fois le livre refermé, il continue à se poser des questions, intensifiant alors sa conscience de lui-même et de sa condition d'homme. La lecture romanesque semble plus accessible et compréhensible, opérant par une identification puis un retour sur soi du lecteur. La conception de Reverdy sur la lecture semble assez restrictive puisque tous les poèmes ne prétendent pas émouvoir et laisser en lui-même et plus intensément lui-même le lecteur. En effet les œuvres poétiques des Parnassiens par exemple n'avaient d'autre but que le poème lui-même et sa beauté. [...]
[...] Cette lecture diffère complètement de celle des poèmes. En effet, la structure d'un poème n'est pas fondée sur une intrigue et des péripéties menées par des personnages, ainsi, le lecteur ne peut donc pas devenir un autre et changer d'identité. Les poètes ne racontent pas des histoires mais écrivent, selon les époques et les écoles, sur différents thèmes et selon différentes règles. Ronsard est reconnu comme étant le parangon de la poésie amoureuse avec Les Amours de Cassandre, les Continuations des Amours, et Nouvelles continuations des Amours tout en ayant également écrit, inspiré par des réflexions métaphysiques sur la mort par exemple : Le temps s'en va, le temps s'en va ma Dame, Las ! [...]
[...] Pourtant, est-il bien sûr que cette épaisseur du langage soit absente de la littérature romanesque ? Et le romancier ne peut-il pas aussi être poète. François Mauriac, l'auteur du Sang d'Atys et de Orages, resté pour le public essentiellement un romancier, s'est toujours considéré avant tout comme un poète avec son si je suis né poète Les comparaisons du Proust de La Recherche du temps perdu ne rivalisent-elles pas d'étendue et d'épaisseur avec celles de l'Iliade ? Ne font-elles pas prendre conscience au lecteur qu'il est en train de lire un chef-d'oeuvre, par l'émotion esthétique qu'elles suscitent en lui ? [...]
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