Lettres de Mme de Sévigné, écriture négligée, écriture réfléchie, Mme de Sévigné, écriture épistolaire, notion de style
Vers le deuxième tiers de sa lettre à Madame de Grignan, lettre du 27 septembre 1671, Madame de Sévigné annonce « une lettre » qu'elle joint au courrier destiné à sa correspondante habituelle, une lettre destinée à une ancienne connaissance, l'Évêque de Marseille parent de M. de Grignan, et qui est à ce moment-là aussi son adversaire : cette lettre est probablement une intercession de la mère en faveur de son gendre dans l'affaire qui l'oppose auprès du roi à M. de Marseille (vote par l'assemblée d'une subvention de 5000 livres pour l'entretien des gardes de M. de Grignan ; le comte, lieutenant gén de Provence, devait remplir les fonctions d'un gouverneur dans en avoir les appointements, touchés par Vendôme). La Marquise avait déjà évoqué dans de nombreuses lettres cette affaire. Ne serait-ce que dans les lettres au programme, on a pu voir que Madame de Sévigné et l'évêque se sont déjà écrits directement. Mais cette fois, Madame de Sévigné fait passer sa lettre par le jugement de sa fille. En l'occurrence, il revient à Madame de Grignan de décider de la donner lors de l'assemblée des États de Provence ou de la brûler : « lisez-la. Si vous la trouvez bonne, faites-la cacheter et la lui donner ; si elle ne vous plait pas, brûlez-la. Elle ne vous oblige à rien. Vous voyez mieux que moi si elle est à propos ou non ; d'ici je ne la crois pas mal, mais ce n'est pas d'ici qu'il faut en juger ». Se soumettant à ce jugement, Madame de Sévigné émet l'un de ses fréquents commentaires métatextuels, justifiant de l'écriture de sa lettre à M. de Marseille par l'unité de son écriture, l'identité de son style et son efficacité supposée: « Vous savez que je n'ai qu'un trait de plume ; ainsi mes lettres sont fort négligées, mais c'est mon style, et peut-être qu'il aura autant d'effet qu'un autre plus ajusté. » Ainsi la Marquise semble moins défendre sa lettre que son écriture naturelle caractéristique de sa personnalité de manière plus générale, et ce toutefois par opposition implicite à l'écriture lourde de son destinataire final, Monsieur de Marseille qui est fréquemment décriée dans l'œuvre pour être en quelque sorte l'opposé de la sienne.
[...] Serait-ce une invitation à écrire comme elle, à devenir comme elle ? Si l'écriture est comme on l'a dit précédemment le prolongement de la personne, alors on entre dans une attente que le destinataire devienne l'épistolier avec les mêmes caractéristiques, appelant MdeG à lui ressembler, à devenir elle dans une sorte de fusion ou confusion de la mère et de la fille. Si MdeS se revendique d'un style négligé, ses lettres manifestent un exemple fort de cette négligence qui mêle la rhétorique conventionnelle à son rejet. [...]
[...] Le style amphigourique de M. de Marseille, détestable d'après MdeS semble concourir à l'antipathie ressentie pour l'homme qu'il est, antipathie nourrie de son opposition à l'affaire de M. de Grignan. Je viens d'écrire à Monsieur Marseille, et comme il m'assure qu'il aura toute sa vie un respect extraordinaire pour l'évêque de Marseille, je le conjure aussi d'être persuadé que j'aurai toute ma vie une considération extrême pour la marquise de Sévigné. Ma lettre sera capable de le faire crever, s'il a pour vous quelques méchantes intentions. [...]
[...] II Une écriture réfléchie : Le style négligé Le style négligé : c'est mon style ? Ce n'est pas parce que MdeS n'a pas eu de formation en rhétorique que ses lettres sont exemptes de rhétorique. Mais il s'agit d'une rhétorique alors nouvelle dont les règles d'après N. Freidel dans l'article la Rhétorique de MdeS se mettent en place vers 1660. Il s'agit d'une esthétique mondaine nouvelle, valorisant la négligence et le naturel. La Marquise fait sienne cette attitude de négligence affichée, qui est alors de bon ton dans les salons. [...]
[...] Une écriture pratique et directe ? Les lettres que nous étudions dans le volume ne constituent pas la totalité de la correspondance de Madame de Sévigné aussi est-il difficile de jauger pleinement les lettres que nous avons et qui sont des lettres familières sans regard sur sa correspondance plus conventionnelle. On peut penser qu'une écriture négligée qui aura peut-être autant d'effet qu'un(e) autre plus ajustée est une écriture directe qui va droit au but, sans passer par des formules alambiquées : de fait, MdeS dans les lettres à sa fille adopte progressivement une écriture plus directe, orientée toujours plus rapidement vers ce qui l'intéresse, sa fille et l'amour qu'elle lui porte, au détriment de l'objet classique de la lettre qui est de donner des nouvelles. [...]
[...] Il est question de M. de Marseille plus d'une dizaine de fois dans les lettres de l'année 1671 et au moins cinq fois, MdeS en profite pour se moquer de son style et faire après l'apologie du style négligé. Ainsi, le style négligé prend un autre sens dans l'opposition à ce style. La rhétorique empruntée de M. de Marseille semble être à mettre sur le même plan que celle de la servante de MdeG, la petite Deville, qui n'a probablement aucune éducation, ce qui est un moyen de rabaisser encore le style de M. [...]
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