Parce qu'il fait le récit d'une portion d'un long processus, Le Guépard n'est naturellement pas unifié autour d'une unique intrigue et l'évolution même qu'il marque entre le début et la fin se traduit par une unité difficile ; toutefois, certaines thématiques et techniques sont centrales et récurrentes dans l'ensemble de l'oeuvre. On se demandera par exemple dans quelle mesure on peut considérer que l'ironie est l'un de ces éléments unificateurs du roman (...)
[...] Comme une pause accordée aux hommes, les Dieux savaient que, pendant vingt-trois heures et demie, ils allaient maintenant reprendre leur empire sur la villa Compte à rebours qui témoigne d'une religion reléguée au rang de contretemps momentané, considération d'autant plus ironique lorsqu'on connaît le contexte religieux dans lequel évolue la famille, un respect fidèle pour la religion, incarné au mieux par Maria Stella, ne cessant jamais de se signer. La présence du narrateur est très nettement décelable par son ironie : d'autres allusions montreront que Lampedusa était certainement agnostique. On retrouve une religion ironisée dans la dernière partie, lorsque Monseigneur et le père Titta s'apitoient devant ces vieilles demoiselles qui vénèrent un tableau profane d'une fille qui a reçu un rendez-vous et qui attend son amoureux pensant sincèrement qu'il s'agit de Marie. [...]
[...] De la même manière, sa relation avec son fils Paolo se résume souvent à des brimades ironiques qui renvoient l'enfant à aller parler politique avec son cheval Dans le premier comme dans le deuxième cas, l'ironie fait écho à un malaise que lui cause sa propre classe sociale, un malaise proche du dégout puisque impliquant la déception par ses propres proches, la dépression par les mécanismes internes de la noblesse et non plus seulement les manœuvres d'une bourgeoisie que Don Fabrizio méprise pour son matérialisme constant, et son penchant vers le chacal, se nourrissant des restes. Cette omniprésence de l'ironie chez les personnages permet une unité du roman parce qu'elle lie chacune des parties à des remarques ironiques récurrentes, comme celles de la religion ou de la noblesse dégénérée, en dehors de l'intrigue même et des événements inéluctables produits par l'histoire. L'ironie transcende la temporalité de l'intrigue et se place en juge d'actions dans l'absolu, par leurs propres contradictions et dimension humoristique. [...]
[...] Littérature : Le Guépard de Tomasi Di Lampedusa En quoi peut-on dire que l'ironie est un élément unificateur du roman ? Le Guépard nous raconte l'histoire du prince Salina, un aristocrate sicilien attaché aux valeurs du passé qui se sent de plus en plus mal à l'aise dans la Sicile de l'époque du Risorgimento, la noblesse concrétisant son déclin tandis que la bourgeoisie s'affirme comme une classe montante profitant de ce même déclin. D'un tragique relativisé, le roman se prête particulièrement à l'ironie de son auteur et de ses personnages, introduisant un recul nécessaire à l'accueil d'événements inéluctables qui, reçus passionnément, seraient certainement douloureux. [...]
[...] L'ironie se définit d'abord comme une figure consistant à dire le contraire de ce que l'on pense. Plus largement, il s'agit d'une raillerie qui cherche à tourner en dérision, à formuler une moquerie méprisante ou même cruelle. L'ironie ne fait pas rire comme l'humour fait rire, elle peut- être signe de tension, d'un détournement à des fins humoristiques d'une situation tragique L'ancrage du Guépard dans une ironie unificatrice se manifeste d'abord au niveau du narrateur. Tenant les rênes de l'histoire, il n'est pas affecté par ses aléas de l'intrigue et son récit se situe constamment dans une dimension où l'ironie est une caractéristique fondamentale. [...]
[...] On peut d'ailleurs expliquer que les auteurs d'ironie viennent de l'aristocratie par une remarque que fait le père Pirrone dans la cinquième partie : l'ironie et la plaisanterie sont aristocratiques, non l'élégie et la plainte. L'ironie de Tancredi n'a d'ailleurs pas pour unique victime les autres, puisque son attitude face à l'engagement politique qu'il revendique est ambivalente : après avoir ardemment défendu Garibaldi, l'entrée dans l'armée régulière du nouveau roi lui fait prononcer une tirade accablant les chemises rouges, qu'il qualifie de voleurs de poules Son opportunisme même est preuve d'une grande ironie, c'est-à-dire d'une capacité à dépasser le tragique de la réalité pour prendre chacun de ses aléas de manière positive mais dont l'instabilité revendiquée ne peut que faire penser à l'ironie. [...]
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