Il y a un an, Jean-Marie Gustave Le Clézio obtenait le Prix Nobel de littérature pour une oeuvre fort diversifiée où l'Afrique joue un rôle spécifique. On voudrait démontrer ici, à partir de la comparaison des deux textes dédiés à son expérience africaine , le roman Onitsha publié en 1991, et l'essai intitulé L'Africain publié en 2004, comment le même jeu de représentations africaines fonctionne, d'un livre à l'autre, selon deux types de cohérence distinctes qui permettent d'aller au plus profond de l'homme Le Clézio.
[...] Mais dans le roman, seul Bony, le camarade noir de Fintan connaissait les noms des dieux. Dans L'Africain, on peut lire : Je me souviens de chacun d'eux, de leurs noms, de leurs bras levés, de leurs masques. Aalasi, le dieu du tonnerre, Ngu, Eke- Ifite, la déesse-mère, Agwu le malicieux. Mais ils sont plus nombreux encore, chaque jour j'invente un nom nouveau, ils sont mes chis, mes esprits qui me protègent et vont intercéder pour moi au nom de Dieu. [...]
[...] Il revit en rêve la lente marche du peuple de Meroë vers le soleil couchant . L'exode est raconté à Geoffroy par le vieux Moïses. On comprend sa proximité avec le Moïse de la Bible qui, sous l'inspiration divine, aurait écrit le Pentateuque où sont racontés, entre autres, la Genèse et l'Exode qui a conduit les enfants d'Israël hors d'Égypte. Car c'est bien l'Egypte qui, pour Geoffroy, court en filigrane sous cette histoire des Meroë, dont le résumé symbolique est immortalisé sur le corps des descendants par le Ogo ce masque de signes tatoués sur le visage des jeunes hommes. [...]
[...] (205) À cet instant, la flamboyance du signe itsi sur le visage d'Okawho permet à Geoffroy de comprendre qu'il est tout près du cœur, tout près de la raison de tous les voyages On voit comment l'écriture de Le Clézio se construit sur une sorte de chevauchement des représentations : les masques, les signes scarifiés sur les visages, les hiéroglyphes sur la pierre et jusqu'à la lumière réfléchie sur l'eau agissent comme des objets cultuels, traces des ancêtres et, en même temps, de cette partie invisible et sacrée qui imprègne la vie de l'homme africain. Elle peut se communiquer à l'Européen suffisamment proche pour partager cette certitude, héritée d'une longue histoire et conférant aux peuples d'Afrique leur dignité et leur noblesse. Mais, loin de l'Afrique, que reste-t-il de ce dialogue avec l'invisible si étranger au matérialisme occidental ? [...]
[...] Mais c'est en Afrique, dans le roman Onitsha, puis dans le récit de L'Africain, que la mention des masques se multiplie. Mêlés aux objets et statuettes de terre rouge que son ami africain Bony lui enseigne à fabriquer, Fintan fait l'expérience du modelage minutieux de ces hommes et femmes debout sur un socle de terre, avec une brindille pour colonne vertébrale et de l'herbe sèche pour les cheveux : Il représentait avec précision les traits du visage, les yeux en amande, le nez, la bouche, ainsi que les doigts des mains et les orteils des pieds. [...]
[...] (120) Ainsi est-il bien devenu lui-même l'égal de Bony, un enfant africain. CONCLUSION Philippe Sollers définissait Le Clézio comme étant décidément d'ailleurs On peut se demander si cet ailleurs ne trouve pas à la fois sa source et son aboutissement dans ce petit livre qu'il intitule L'Africain. Celui-ci illustre en effet le parcours circulaire qu'il définissait comme étant celui de l'écrivain : J'ai un peu l'impression que l'écrivain suit un chemin circulaire. Il est sur cette roue qui tourne et, en se dirigeant vers sa fin, vers la fin de ce qu'il est en train de faire, il lui faut nécessairement retrouver ce qu'il avait commencé de façon à former un tout cohérent et que lui-même puisse se sentir un être cohérent. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture