La langue est marquée par la société, elle est signe d'appartenance. C'est pourquoi le vocabulaire et les usages linguistiques qui sont attribués aux personnages les caractérisent socialement et psychologiquement. Chaque catégorie a un langage ; celui des valets se démarque par rapport à celui de la bonne société dont la langue est la norme. Mais la langue est davantage qu'un élément de costume social des valets. Dans les rapports que ces derniers entretiennent avec les autres, ils utilisent le pouvoir des mots à leur profit et aux dépens de leur interlocuteur, et bien souvent de leur maîtres, que les valets s'amusent à imiter et à parodier dans un style qui, la plupart du temps, laisse à désirer. Cependant, le valet se trahit souvent à cause de sa façon de parler un peu « triviale », même s'il pense avoir un bon langage. Donc la langue est un instrument de pouvoir, mais elle est aussi un moyen de travestissement, auquel on a recours pour lever certains obstacles. La langue est matière théâtrale parce qu'elle permet le travestissement, mais aussi le quiproquo, la confrontation des univers et leurs codes, le mélange des univers galants et concrets, mais surtout parce qu'elle permet d'opposer les maîtres et leurs valets. A partir de là, on peut constater que les valets ont des traits de caractère récurrents, d'où l'expression de « figure du valet ». On peut donc se demander si leur langage est identique.
En ce qui concerne les œuvres au programme, peut-on dire que le langage des valets est assez similaire pour que l'on puisse le considérer comme une de ses caractéristiques fondamentales ?
Pour cela, nous verrons dans un premier temps de quelles façons les valets utilisent le langage, puis comment et de quoi ils parlent et pour finir nous nous attarderons sur la vision des auteurs, à savoir pourquoi ils ont décidé de faire parler leurs valets de cette manière.
[...] Après quelques approches galantes, il réclame sans ambages dites moi un petit brin que vous m'aimez Lisette, plus consciente des réalités, nuance sa réponse Pour moi, mon cœur vous aurait choisi, dans quelque état que vous eussiez été Cette affirmation amène en écho quand vous ne seriez que Perrette ou Margot, quand je vous aurais vue, le martinet à la main, descendre à la cave, vous auriez toujours été ma princesse Après ces précautions oratoires, Arlequin va chercher à boucler l'affaire en disant jurons nous de nous aimer toujours Dans le jeu, les maîtres apprennent les gestes du désir par l'intermédiaire de leurs valets, qui accèdent au langage de l'amour grâce au passage par le rôle de maître. On peut dire que Lisette est plutôt convaincante alors qu'en dépit de son bon vouloir, Arlequin ne parvient pas à maîtriser le code du langage galant de la noblesse. Si, par le biais du langage amoureux, les valets peuvent voir un sujet de conversation commun avec les maîtres, ce n'est pas le cas pour les autres sujets de conversation. Les valets n'usent pas du langage de la raison. [...]
[...] Le juge dit à Eva ton père a vidé toute une bouteille de punch et peu après Puntila veut marier sa fille à Matti. Alors pourquoi aurait-il besoin de se justifier ? Matti est ainsi avantagé comparé à Truffaldin ou à Lisette. Il n'a pas besoin de son langage pour échapper aux châtiments. Cependant Matti remplace en quelque sorte son maître qui n'est pas en état de parler intelligemment. Il parle souvent pour lui et avec lui. Il a donc le devoir de parler comme les valets des deux autres œuvres précédemment citées. [...]
[...] Mais cela n'est valable que pour les valets de chambre. Dans l'œuvre de Goldoni cette relation d'ordre mercantile entre maître et serviteur engage une définition différente du valet par rapport à l'esclave de la comédie latine. Chez Plaute, une complicité régnait entre le jeune homme dépensier et l'esclave rusé, ligués contre la cupidité du marchand et l'avarice du père. Dans la pièce de Goldoni, le schéma de l'action instaure un fossé infranchissable entre les préoccupations des maîtres et celles des serviteurs (le cas de Sméraldine devant être mis à part). [...]
[...] Dans la scène 6 de l'acte I de Arlequin serviteur de deux maîtres figure une plainte de Truffaldin. Son maître s'occupe mal de lui. Il mange peu et n'a pas encore d'argent. Il dit Je n'en peux plus, j'en ai par-dessus la tête d'attendre. Avec ce maître qui est le mien, on mange peu, et ce peu, il vous fait soupirer après. Il y a une demi-heure que midi a sonnée au carillon de la ville, mais il doit bien y avoir deux heures qu'il a sonné au carillon de mon estomac. [...]
[...] Voyons maintenant que le contexte historique y est pour beaucoup dans le langage que les auteurs donnent aux valets. Juridiquement la société française du XVIIIeme siècle reste ce qu'elle était par le passé, une société divisée en trois ordres dont celui du tiers Etat, ordre des valets. Donc la condition de maîtres et de valets représente alors une forte réalité sociale. Marivaux a écrit dans l'avertissement des serments indiscrets, dans son théâtre complet. On est accoutumé au style des auteurs [ ] mais si par hasard vous quittez ce style, et que vous portiez le langage des hommes dans un ouvrage, et surtout dans une comédie, il est sûr que vous serez d'abord remarqué puis il ajoute il est vrai que j'ai tâché de saisir le langage des conversations Bien que les valets de Marivaux, de Brecht, et de Goldoni aient presque tous le même langage pour des raisons bien précises il semble que ce n'est pas un hasard que leur langage soit si identique. [...]
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