A la recherche du temps perdu est un roman qui brosse le portrait de très nombreux personnages. Dans une lettre à Antoine Bibesco, Proust écrit « Cent personnages de roman (...) me demandent de leur donner un corps comme ces ombres qui demandent dans l'Odyssée à Ulysse de leur faire boire un peu de sang pour les mener à la vie et que le héros écarte de son épée. » Nous allons nous intéresser dans ce qui suit, en nous limitant à la deuxième partie de Sodome et Gomorrhe, à ce qui est bien souvent partie intégrante des portraits de ces personnages : la description de leurs langages.
La description de ces parlers constituent une partie à part entière des portraits brossés, et parfois même suffit à la description des personnages. Ainsi, certains personnages se voient définis uniquement par à leur façon de parler et par les paroles qu'ils prononcent. On peut parler alors de "discours portraits". Prenons pour exemple Mme Poussin, une connaissance de Combray que le Narrateur rencontre à Combray. Ce personnage nous est présenté d'abord comme répétant toujours une même expression, puis par une façon particulière de prononcer certains mots : « (…) nous l'appelions jamais entre nous que « Tu m'en diras des nouvelles », car c'est par cette phrase perpétuellement répétée qu'elle avertissait ses filles des maux qu'elles se préparaient. Par exemple en à l'une qui se frottait les yeux : « Quand tu auras une bonne ophtalmie, tu m'en diras des nouvelles » (…) Elle trouvait trop dur d'appeler « cuiller » la pièce d'argenterie qui versait ses sirops et disait en conséquence « cueiller » ; elle eût eu peur de brusquer le doux chantre de Télémaque en l'appelant rudement Fénelon (…) et ne disait jamais que « Fénélon » trouvant que l'accent aigu ajoutait quelque mollesse. » La description de Mme Poussin s'arrête ici. Une page entière est consacrée aux particularités de son langage, alors qu'il ne s'agit que d'un personnage secondaire que l'on ne recroisera plus dans Sodome et Gomorrhe. Comme si Proust ne l'avait fait apparaître que pour le plaisir d'inventer encore un nouveau langage.
[...] Proust fait alors un long commentaire et conclut par l'observation d'un "rapport plus direct entre le signe révélateur et le secret." Le baron de Charlus appartient donc successivement à ces deux catégories : la plupart du temps il contrôle ses paroles mais parfois quelques mots ou attitudes trahissent son secret. Tout ce qui accompagne le langage et lui paraît extérieur parle pour le contenu. Les gestes et mimiques de Charlus que nous venons d'observer complètent le contenu de ses paroles. [...]
[...] La façon de faire parler ses personnages sert à les individualiser, tous, qu'ils fassent partie des héros du roman ou qu'ils soient secondaires, possèdent un langage propre qui les définit et les distingue des autres. Ainsi, Cottard sera, entre autres, caractérisé par ses calembours : Savez-vous quel est le comble de la distraction ? C'est de prendre l'édit de Nantes pour une Anglaise. Ou à propos de Mme de Cambremer : Vous ne la connaissez pas au sens biblique ? dit, en coulant un regard louche sous son lorgnon, le docteur, dont c'était un de ses plaisanteries favorites. [...]
[...] Le langage parlé n'est pas toujours nécessaire, chez Françoise : Capable de rivaliser avec la Berma elle-même dans l'art de faire parler les vêtements inanimés et les traits du visage, Françoise avait su faire la leçon à son corsage, à ses cheveux dont les plus blancs avaient été ramenés à la surface, dont les plus blancs, exhibés comme un extrait de naissance, à son cou courbé Ils la plaignaient." , comme chez Mme Verdurin Ses traits ne prenaient plus la peine de formuler successivement des impressions esthétiques trop fortes, car ils étaient eux-mêmes comme leur expression permanente dans un visage ravagé et superbe" . Jean-Yves Tadié, dans son ouvrage Proust et le roman, note le langage secret chez Albertine dansant avec Andrée au chapitre II. On n'oubliera pas, bien sûr, de noter le potentiel comique de beaucoup de ces discours rapportés, quelques uns d'entre eux paraissent mêmes écrits uniquement pour provoquer le rire. Parfois la forme prend le pas sur le fond, il ne s'agit pas de rire de ce qui est dit mais de la manière dont on le dit. [...]
[...] Du reste, dans le cas particulier vous faites un impair de tout premier ordre. Je crois ce jeune homme absolument le contraire." M. de Charlus ment et son trouble se remarque : il commence par dire ne pas savoir si ce jeune homme est un inverti puis donne une réponse. Les deux "absolument" s'opposent et se répondent. Beaucoup de ses propos passent inaperçus chez la plupart de ses interlocuteurs mais sont révélateurs pour ceux qui "savent" dont, nous lecteurs, faisons partie. [...]
[...] La virtuosité de Proust à manier ces langages rappelle celle des comédies de Molière, que l'auteur cite lui-même dans le chapitre premier : Cela avait réalisé ce bruit confus, produit dans les comédies de Molière par plusieurs personnes qui disent ensemble des choses différentes On note très clairement une volonté de nous faire plus que lire les paroles de ses personnages. Malgré sa déclaration à François Mauriac : "Je prise peu d'habitude, le côté parlé des livres", Proust veut nous les faire entendre, à dépasser le problème que pose une œuvre écrite à l'aide de beaucoup de précision sur le ton, les intonations, la prononciation. Ainsi Charlus disant à propos de Morel Oh ! ces enfants, ( . [...]
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