Dans la Préface des Liaisons Dangereuses, le Rédacteur déclare : 'C'est rendre un service aux mœurs, que de dévoiler les moyens qu'emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes'. Les termes employés : 'rendre un service aux mœurs' et 'dévoiler' tendent à conférer une portée morale à ce roman épistolaire, faisant par conséquent de Laclos un moraliste. Mais comment un roman qui fut qualifié de 'sulfureux' pendant des siècles peut-il se voir crédité d'un projet moraliste ?
[...] Le valet Azalan, véritable valet de comédie, se caractérise par la légèreté de ses mœurs, la manipulation de ses maîtresses. Mais c'est surtout l'aristocratie, élite de la société, qui est condamnée, le cocuage étant véritablement monnaie courante. Le jeu de mot trivial de Valmont sur le bois de son ami illustre la multiplication des aventures érotiques, au vu et au su du mari; la marquise chez qui Valmont passe la nuit a un mari et compte deux amants, dont un attitré. [...]
[...] Mais le langage lui-même est trompeur, ce qu'illustre la célèbre lettre XLVIII, celle du pupitre, qui est sans doute l'exemple le plus probant du double langage des libertins. Laclos dévoile ainsi ce qui constitue une véritable méthode libertine, et que l'on peut considérer comme un moyen de s'en prévenir. Mais le moraliste est également censé porter des jugements et proposer des leçons morales, ce que réalise Laclos. Directement ou indirectement, c'est-à-dire par le biais de ses personnages, l'auteur critique l'attitude des libertins. [...]
[...] On peut alors comprendre la fascination de Laclos, lui qui s'était penché sur les travaux de Vauban, pour cette femme machiavélique. Mais la perversion atteint encore un autre plan : celui du lecteur. Le roman épistolaire, en éclipsant la présence de l'auteur, projette directement le lecteur parmi les protagonistes, l'introduit dans leurs pensées les plus intimes et le met, par conséquent, dans une situation de voyeurisme. Par cette position ambiguë, le lecteur devient non seulement complice mais il prend même plaisir à partager les pensées de ces personnages que la morale réprouve pourtant. [...]
[...] Le chevalier, qui promettait un amour sans faille et éternel à Cécile, a en effet bien vite cédé à Mme de Merteuil, symbolisant par la même les intermittences du cœur des jeunes personnes. En ce qui concerne Mme de Tourvel, Laclos ne saurait l'accabler d'être tombée amoureuse de Valmont, d'avoir été prise au piège, les sentiments ne se contrôlant pas. En revanche, Laclos semble souligner la vanité de certains dévots qui pourraient se croire supérieurs aux autres et en quelque sorte infaillibles. [...]
[...] Mais n'est-ce pas trop simplifier une œuvre aussi dense et complexe que sont les Liaisons Dangereuses ? Peut-on imaginer un Choderlos de Laclos aussi manichéen ? Il semble en effet nécessaire de relativiser la portée morale de ce roman épistolaire. II. Se détournant d'un manichéisme simpliste et peu vraisemblable, Laclos confère à ses personnages une complexité qui les rend ambigus. Les libertins, Valmont et Merteuil, êtres froids et calculateurs, insensibles, sont sans conteste les plus inattendus dans le rôle d'amoureux. [...]
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