Pierre Corneille, "La Place royale"

Résumé du document

Dissertation de khâgne (2ème année de classe préparatoire littéraire) sur la pièce La Place royale de Pierre Corneille, oeuvre au programme de l'ENS-LSH 2008, à partir d'une citation d'Octave Nadal. La dissertation s'interroge principalement sur le personnage d'Alidor et à l'issue de la pièce, en se posant la question de savoir si elle marque la victoire d'Alidor et sa liberté, ou au contraire l'échec de sa tentative libertaire.

Extraits

[...] Plus d'hésitation possible : Alidor est jaloux, et craint moins sa propre dépossession que la possession de sa maîtresse par un autre. Qu'il se le cache, c'est une autre affaire ; mais, lorsque, à la scène 5 de l'acte III, il affirme que [s]on bonheur [lui] déplaît parce qu'Angélique n'est pas à Cléandre, c'est pourtant avec personne que Corneille fait rimer le mot donne (v. 733-734). Mais pourquoi alors tenter de se débarrasser d'Angélique ? Pour la même crainte de la possession évoquée plus haut ; mais ici, il n'est pas question de la possession par Doraste ou Cléandre : c'est de posséder lui- même Angélique, et dans le sens fort du terme, dont Alidor a peur. [...]

[...] S'introduire comme un rêve dans l'esprit d'une jeune fille est un art écrira Soren Kierkegaard dans son Journal d'un séducteur ; art que maîtrise à merveille Alidor, puisque l'esprit d'Angélique est la place (royale qu'il finit par occuper. Ainsi, si la thèse d'Octave Nadal découvrait dans le monologue final d'Alidor une preuve de l'échec de sa tentative, puisque Alidor aime encore Angélique et, renonçant à elle, ne retrouve qu'une liberté dérisoire, on s'est rendu compte que cette même conclusion l'échec du héros peut se distinguer à travers une toute autre lecture du texte, qui mettrait en doute l'amour d'Alidor et le présenterait, par le cri de triomphe final, comme un héros bouffon, ou tragique, selon le niveau de passion qu'on lui accorde. [...]

[...] Mais un troisième terme, et qui n'est pas là que pour le jeu de mot, rejoint les précédents : celui de possession. Car enfin Alidor ne se bat-il pas contre la possession d'Angélique par Doraste ? Il mettra d'ailleurs tout en œuvre pour qu'elle échappe à ce mariage : reconquête, menace de mort (III, enlèvement même manqué sc. Et lorsqu'il croira sa maîtresse hors du danger que représente Doraste, ne ressentira-t-il pas des regrets / secrets comme nous en informent les rimes, et cela à deux reprises (IV vers 967- 968, et IV vers 1051-1052) ? [...]

[...] Alidor ne serait donc pas amoureux ? Plus qu'une supposition, ce sera la question centrale de ce nouveau mouvement de réflexion, dont la réponse jettera une lumière nouvelle sur les paroles de Nadal. L'amour ne trouve sa contradiction essentielle qu'en lui-même ; et c'est aussi en elle-même que la théorie d'Alidor trouve sa réfutation : celui-ci, on ne le sait que trop, affiche une attitude hostile envers l'amour, et tente de prévenir ses maux : lors d'une discussion avec Cléandre dans la scène 4 de l'acte il le qualifiera de joug inhumain passage trompeur et même de supplice éternel Mais cette conscience aiguë des dangers de l'amour suppose une lucidité toujours très vive, et sa décision de se procurer un mal pour en éviter mille est l'expression d'une volonté encore robuste. [...]

[...] puis Angélique elle-même, qui réalisera que Alidor (quel amant n'ose me posséder 6). En effet, la peur du mariage, c'est aussi l'appréhension de le consommer ; et Alidor, qui se prévaut d'avoir tant de volonté, sait qu'elle est inefficace en matière de sexualité. Il dira lui- même, en réponse à ce qui semble une insulte dans la bouche d'Angélique, si on le prend au sens sexuel : Un bien si précieux (la possession) se doit- il hasarder ? Le hasard, voilà ce qui fait peur à Alidor ; et son manque d'assurance (il ne fait, en définitive, et dans toute la pièce, que douter) n'est pas ce qui doit apaiser son angoisse de la nuit de noces ; l'idéal serait que le cœur d'Angélique soit à lui, et son corps à personne. [...]