Les soleils des indépendances. Si on n'est pas averti, on interprète le mot « soleil » comme une métaphore très valorisante, comparant les indépendances à une source de vie et de lumière. Mais en réalité, ces « soleils » sont à interpréter comme une métonymie désignant les « jours », en malinké. Les soleils des indépendances pourraient donc être traduit comme les jours ou bien encore l'ère des indépendances. Dès le titre du livre, les préoccupations politiques comme artistiques d'Ahmadou Kourouma se font ressentir. Toute l'illusion de la métaphore est dissipée : le roman ne chantera pas la gloire des indépendances, comme la forme du titre pouvait le laisser sous entendre, mais décrira la réalité de ce moment historique qui suit les indépendances.
En effet, l'histoire et les péripéties rencontrées par Fama, le protagoniste du premier livre d'Ahmadou Kourouma, publié en 1968 au Canada, se déroulent dans la période plus ou moins dictatoriale qui a suivie la décolonisation et l'accession à l'indépendance de nombreux pays d'Afrique francophone. Ce livre, qui est le premier de quatre, montre les indépendances sous un nouvel angle, en tant que régimes politiques qui auraient, à la fois « démystifié » et « dévirilisé » l'Afrique.
Mais pourquoi donc ne pas avoir écrit l'ère des indépendances mais les « soleils des indépendances » ? Tout simplement parce que le titre évoque de cette manière ce qu'Ahmadou Kourouma a cherché et a réussi à élaborer dans son livre, dans le but d'imaginer et d'expérimenter d'autres manières de dire l'Afrique : une forme littéraire nouvelle, à mi-chemin entre français et malinké. Par le fait même que ce nouveau langage refuse toute contrainte, toute influence et toute règle établie1, il permet de produire chez le lecteur « un état d'éveil et de sensibilité, plus ou moins lié au plaisir esthétique ».
Mais Ahmadou Kourouma attache-t-il plus d'importance à se distinguer artistiquement qu'à critiquer les nouveaux régimes autoritaires ?
C'est ce dont nous allons tâcher de débattre en analysant, en premier lieu, la place qu'occupe la critique de l'indépendance politique (politique, entendue dans son sens le plus large : qui concerne les affaires de la cité) des pays africains et plus particulièrement, comme nous le
verrons plus loin, de la Côte d'Ivoire, dans Les soleils des indépendances. Puis, nous rechercherons de quelle façon Ahmadou Kourouma est soucieux d'innover littérairement et donc artistiquement et ce que cela révèle. Enfin, nous essayerons de comprendre en quoi, bien que le roman d'Ahmadou Kourouma soit principalement pessimiste, notamment sur le plan politique, cette magie artistique dont fait preuve « le « guerrier » griot », pour reprendre le terme de Madeleine Borgomano -Kourouma signifie « guerrier » en malinké-, permet de faire vivre l'espoir mais à la fois, de rendre la critique encore plus cinglante.
[...] En effet, sans oublier, comme nous venons de le voir, les problèmes d'ordres sociaux et politiques évoqués, il est l'un des premiers à accorder une place extrêmement importante à la forme artistique. Face à ce monde délirant, Kourouma a recours aux forces du langage. Il croit profondément à la puissance à la fois destructrice et salvatrice du verbe. D'abord, bien sûr, pour témoigner et communiquer. Ainsi, dès son premier livre, à une période où les écrivains africains privilégiaient pour la plupart le message, Kourouma, qui pourtant n'a pas de formation littéraire, invente un langage nouveau. [...]
[...] Mais Kourouma ne se contente pas de constater les faits à travers le personnage de Fama. En effet, par le biais du discours indirect libre, on est souvent restreint du fait que la description ou la vision d'une situation sont, la plupart du temps, rapportées par Fama, protagoniste dont les idées, notamment au niveau politique, ne semblent pas très développées. Mais, les limites étroites de ce point de vue sont régulièrement soulignées par le narrateur. Ce dernier se garde cependant bien d'apporter plus d'informations sur une situation donnée ou de nous faire part d'une théorie politique mais il critique implicitement les différentes situations en nous montrant le caractère naïf de son protagoniste. [...]
[...] D'après lui, ceci apparaît, en particulier, à travers tout un ensemble de procédures, destinées à produire l'impression que nous ne sommes pas les lecteurs d'un roman, mais des auditeurs réunis autour d'un conteur qui interpelle ces derniers et cherche à susciter chez eux des réactions : indignation, approbation, etc. Les nombreuses répétitions opérées par l'auteur, par exemple, font partie de ces procédés. Mais, bien qu'à mi- chemin entre oralité et relation traditionnelle d'auteur/lecteur, le roman d'Ahmadou Kourouma relève bien du travail d'auteur. Ainsi, le langage innovateur de Kourouma est proche de celui, utilisé par Céline dans Le voyage au bout de la nuit, qui utilise systématiquement la langue orale, un registre populaire, voire argotique. [...]
[...] Mais pourquoi donc ne pas avoir écrit l'ère des indépendances mais les soleils des indépendances ? Tout simplement parce que le titre évoque de cette manière ce qu'Ahmadou Kourouma a cherché et a réussi à élaborer dans son livre, dans le but d'imaginer et d'expérimenter d'autres manières de dire l'Afrique : une forme littéraire nouvelle, à mi-chemin entre français et malinké. Par le fait même que ce nouveau langage refuse toute contrainte, toute influence et toute règle établie1, il permet de produire chez le lecteur un état d'éveil et de sensibilité, plus ou moins lié au plaisir esthétique Mais Ahmadou Kourouma attache t-il plus d'importance à se distinguer artistiquement qu'à critiquer les nouveaux régimes autoritaires ? [...]
[...] Le semblant d'insurrection dont se mêle Fama de la page 154 à la page 158, où il finit par se faire arrêter, est dirigée contre le Parti Unique qui est pour Fama, la pire des bâtardises Lors de l'arrestation secrète et injustifiée de Fama, la perversion du système politique ainsi que son injustice sont révélées. En effet, Fama apprend, après de longues journées de détention dans un camp politique qui pourrait bien ressembler aux camps d'Houphouët-Boigny, qu'il a été arrêté à cause d'un rêve qu'il avait raconté à son ami Bakary. Mais cet usage politique du rêve sort évidemment de toute tradition et de toute logique. Il manifeste de façon éclatante l'arbitraire. Cette arrestation étant, de plus, suivie de tortures, c'est le système judiciaire tout entier qui est dénoncé. [...]
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