"Son talent consiste principalement dans l'art d'attirer l'attention... Il ressemble à un homme qui viendrait arrêter les passants dans la rue, les saisirait au collet, leur ferait oublier leurs affaires et leurs plaisirs, les forcerait à regarder à leurs pieds, à voir ce qu'ils ne voyaient pas ou ne voulaient pas voir, et ne leur permettrait d'avancer qu'après avoir gravé l'objet d'une manière ineffaçable dans leur mémoire étonnée." Ainsi parlait Taine à propos de Jean de La Bruyère. En effet, le célèbre moraliste avait pour but de corriger les défauts des hommes de son temps, et c'est dans cette optique qu'il a écrit Les Caractères, dont la dernière édition, datant de 1696, contient non moins de mille cent vingt fragments.
Dans ce que certains critiques qualifient de "Bible de l'honnête homme", comment trouver la figure de l'homme sage, qui échappe aux travers et à la folie généralisée ?
Cette recherche se fait d'abord par les termes mêmes employés par La Bruyère pour désigner les personnages dont il parle. A ce stade, on s'aperçoit que la sagesse se doit d'être double : individuelle et sociale. Enfin, nous verrons quelles sont les causes et les solutions proposées par le moraliste.
Définir la figure de l'honnête homme dans Les Caractères est une tâche ardue. Car dans Les Caractères, le moraliste dépeint l'homme sous son jour le plus sombre et avec ses défauts les plus inavouables. De ce fait, il n'utilise les figures positives de l'homme que pour comparer ce dernier avec l'homme vicieux. De plus, lorsque La Bruyère emploie des termes a priori valorisants tels que "les Grands" ou "les Beaux Esprits", une deuxième lecture nous dévoile en fait que ces termes qu'on croirait flatteurs ne le sont pas, La Bruyère utilisant l'ironie comme arme pour sa critique. Dans un premier temps, on pourrait considérer l'homme sage comme un opposé positif de la folie, c'est à dire une image inversée de tous les caractères décrits pas La Bruyère dans son œuvre.
[...] L'homme doit se tenir sur une ligne située au juste milieu, comme le fait le narrateur de la remarque 47 de "Des Biens de Fortune" en disant . ) je ne veux être, si je le puis, ni malheureux, ni heureux : je me jette et me réfugie dans la médiocrité." Dans cette dernière remarque, le intervient. Serait-ce là La Bruyère même qui s'exprime, tout en invitant son lecteur à choisir le même chemin que lui, c'est à dire la médiocrité ? [...]
[...] C'est une vision assez pessimiste, ou plutôt fataliste de la condition humaine, que Bossuet condamnera en disant qu' "Il ne faut pas permettre à l'homme de se mépriser tout entier . " Mais est-ce vraiment se mépriser que de rendre compte des ses travers et de les accepter comme tels ? C'est plutôt considérer que la vie est courte, et que mieux vaut la vivre de manière désintéressée, en gardant avec soi l'idée que nous ne sommes rien de plus qu'un être parmi des milliards, plutôt que de chercher à s'élever contre notre condition, et de, tôt ou tard, retomber dans notre misère initiale. [...]
[...] Les "Grands" sont également critiqués, car, d'après La Bruyère, ils n'ont pour eux que leur naissance et n'ont aucun autre mérite que celle- ci. Les hommes riches, enfin, constituent une autre cible du moraliste, puisqu'il explique que c'est la richesse qui les rend populaires. Ainsi, l'homme sage apparaît comme cultivé par rapport au sot, modeste par rapport aux "beaux esprits", et ne devant son mérite qu'à lui-même par rapport aux "grands" et aux riches. Cette première étude de l'homme sage en le considérant comme ayant un caractère qui serait un "négatif" de ceux décrits par La Bruyère n'est pas satisfaisante. [...]
[...] Ainsi, quand il sait quelque chose, il ne cherche pas à étaler son savoir car "celui qui sait beaucoup pense à peine que ce qu'il dit, puisse être ignoré, et parle plus indifféremment" tel que le moraliste l'explique à la remarque 76 du chapitre "De la Société et de la Conversation". Le sage ne se considère pas comme supérieur aux autres. Dans la remarque 16 de "Du Mérite Personnel", il apparaît comme une personne qui agit bien sans réfléchir au fait que ses actions lui vaudront d'être reconnu de quelque façon que ce soit mais parce qu'il est dans sa nature d'agir bien, alors que "le fanfaron travaille à ce que l'on dise de lui qu'il a bien fait." C'est donc de manière tout à fait désintéressée que le sage se conduit honnêtement, et non en vue d'obtenir une récompense. [...]
[...] Mais une fois celle- ci acquise, il n'est plus besoin de dissimuler quoi que ce soit, et à ce moment, le vrai caractère reprend le dessus. L'ambition pousse donc l'homme à être ce qu'il n'est pas vraiment. Le sage, quant à lui, ne change pas et "guérit de l'ambition par l'ambition même ; il tend à de si grandes choses, qu'il ne peut se borner à ce qu'on appelle des trésors, des postes, la fortune et la faveur ( . [...]
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