C'est le cas de Diderot et de son travail sur le roman, genre littéraire né au XVIe siècle avec les récits chevaleresques mais encore assez peu défini au XVIIIe. Il achève Jacques le Fataliste en 1772, pour être publié de façon posthume en France en 1796. C'est une ?uvre complexe ou les attributs que l'on accorde généralement au roman sont délaissés pour servir une réflexion de l'auteur qui écrit : « Et votre Jacques n'est qu'une insipide rhapsodie de faits les uns réel, les autres imaginés, écrits sans grâce et distribués sans ordre. » (...)
[...] Il faut prendre en compte la complexité de la position de Diderot. Il choisit comme support le roman : assez peu évolué, il est un moyen d'expression complexe. Il se joue ensuite des règles du roman et créé une histoire avec peu d'intérêt narratif mais lance une réflexion sur le genre romanesque et l'écriture en générale. Mais il va plus loin. Son personnage de Jacques est adepte et croit au fatalisme, vision métaphysique du monde selon la quelle l'homme est soumis à son destin, tous ses actes sont prévus par le grand rouleau : Le maître ne disait rien ; Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écris là-haut Diderot lui n'adhère pas à cette thèse. [...]
[...] On comprend que Diderot s'adresse au lecteur, qu'il commente et analyse son œuvre : en effet, cette phrase le prouve, elle tend à résumer synthétiquement le principe de l'œuvre tout en jouant avec la prise de parole. A maintes reprises Diderot coupe le récit, il donne des indications, s'adresse au lecteur ou change tout simplement de situation car c'est lui l'auteur et telle est sa décision : vous voyez lecteur, que je suis en beau chemin et qu'il ne tiendrait qu'à moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le récit des amours de Jacques, en le séparant de son maître et en leur faisant courir à chacun tous les hasards qu'il me plairait On assiste ici à Diderot revendiquant son travail d'écriture : l'auteur est tout puissant mais Diderot tend à dissiper ce pouvoir par moment et se met en retrait de l'écriture : Vous allez croire [ ] qu'il y aura une action sanglante, des coups de bâtons donnés, des coups de pistolet tirés, et il ne tiendrait qu'à moi que tout cela n'arrivât [ ] : j'ignore ce qui se passa dans l'auberge. [...]
[...] Puis l'histoire du père Hudson racontée par le marquis des Arcis, enfin l'histoire des amours du maître pour Agathe. Ces trois récits ont en communs le thème de la tromperie. De plus, le dialogue entre l'auteur et son lecteur enchâsse celui de Jacques et de son maître qui en enchâsse d'autre et encore et encore Jacques le fataliste est d'abord un roman-dialogué, puis une mise en abyme des dialogues. La forme que l'on trouve habituellement dans les romans n'est pas respectée, cela favorise la distanciation : principe faisant que le public (ici le lecteur) se voit remis à sa place de lecteur et ne peut s'identifier aux personnages par l'intervention de procédés (ici le discours de l'auteur, l'interpolation des récits Diderot nous empêche, nous lecteur, de nous prendre au jeu du roman. [...]
[...] Nous tacherons d'étudier les différents aspects de l'œuvre offerts par cette vision de l'auteur en s'intéressant d'abord à cette phrase comme une définition de l'œuvre donnée par Diderot. Nous verrons ensuite comment cette citation ouvre des horizons sur la construction du livre. Pour finir, nous considèrerons la relation entre le désordre énoncé dans la phrase et l'apparent désordre des récits dans le livre. Cette phrase se situe dans le troisième quart de l'œuvre, c'est- à-dire vers la fin. Elle peut aisément être considérée comme une définition de l'œuvre par l'auteur Mais que définit-t-elle ? [...]
[...] qu'est ce que le roman mais aussi sur le monde, les hommes, la philosophie, Dieu (le grand rouleau Jacques le fataliste est une œuvre d'exercice d'un esprit des lumières explorant et jouant avec les limites du monde de la connaissance et des dogmes littéraires qui s'ouvre à cette époque de profusion de la réflexion, des sciences Encore au delà, on assiste à une revendication de la liberté de l'auteur : une telle œuvre a du choquer les esprits. Diderot clame donc qu'il est un auteur libre, qu'il a toute puissance sur ses personnages, son œuvre, et que les écrivains peuvent ne pas se limiter au règles définissant un genre littéraire, un style Jacques le fataliste, plus que d'être un roman, plus que d'être un antiroman, une revendication de la réflexion et de la liberté ; c'est aussi une leçon sur l'écriture et sur la façon de voir les hommes, Dieu et le monde. [...]
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