Dans le tout premier de ses caractères, Théophraste définit l'ironie sous un angle général, comme une sorte de simulation. Cicéron et Quintilien, eux, envisagent cette notion de façon plus circonscrite comme une figure de style consistant à dire le contraire de ce que l'on pense, ou à penser le contraire de ce que l'on dit.
Depuis l'Antiquité, le débat est toujours aussi vif et définir l'ironie n'est pas chose aisée. Pour certains, elle se résume de façon arbitraire au procédé rhétorique de l'antiphrase. Pour d'autres elle se confond, au sens large, avec la raillerie, cette plaisanterie grinçante. L'ironie renvoie en outre à la démarche même de la pensée qui s'épanouit dans la dialectique du raisonnement philosophique hérité des dialogues socratiques. L'étymologie même du mot ironie renvoie directement à cette notion de questionnement.
La définition de l'ironie est d'autant plus malaisée à produire qu'elle diffère selon les époques, les pays et les cultures. En France, quand on demande à quelqu'un « Qu'est-ce que l'ironie ? », il n'est pas rare qu'il escamote la difficulté qui embarrasse les chercheurs en répondant : « L'ironie ? C'est Voltaire, c'est Candide. » En effet, la tradition scolaire a fait de Voltaire le parangon de l'ironie et à la lecture du Dictionnaire philosophique, on voit mal comment on pourrait contester ce statut. Au XVIIIe siècle, la perspective cicéronienne prime, et on assimile encore pour une grande part, l'ironie à l'antiphrase. Pourtant, si Voltaire fait effectivement un usage presque convulsif de l'antiphrase, son ironie dépasse simplement la perspective du style.
Chez lui, cette figure de pensée, pour reprendre le mot de Fontanier, est bien davantage, elle est une arme envisagée comme telle, qui utilise différentes ressources et nuances, que Voltaire aime employer à l'envie et qu'il revendique dans une lettre à D'Argental datant de mai 1772, dans laquelle il explicite sa recette :
« Point d'injure, beaucoup d'ironie et de gaieté. Les injures révoltent, l'ironie fait rentrer les gens en eux-mêmes, la gaieté désarme ».
Dans la mesure où il embrasse l'ironie sous un angle stylistique, littéraire et philosophique, il paraît intéressant de nous en remettre à l'examen proposé par Jankélévitch. Selon lui, la nature même de l'ironie, qu'on vient d'esquisser, fait qu'elle est indéfinissable. Cependant, si on ne peut en analyser la structure, on peut en tout cas en décrire l'allure. Il écrit :
« L'ironie pense une chose et à sa manière, en dit une autre. Elle sort voilée comme une Egyptienne. »
Il conclut sa remarque en disant que c'est à l'intuition commune de s'y reconnaître parmi les nuances innommables et innombrables de l'ironie. Autrement dit, en insistant sur le fait que l'ironie n'est vivante qu'autant qu'elle est ravivée par son lecteur, Jankélévitch suit la perspective de Voltaire, qui dans sa PREFACE, après avoir rappelé la nécessité de joindre « l'agréable à l'utile », condamne la lecture paresseuse et s'en remet à la participation active du lecteur : (page 4)
« Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié ; ils étendent les pensées dont on leur présente le germe ; ils corrigent ce qui leur semble défectueux, et fortifient par leurs réflexions ce qui leur paraît faible. » (...)
[...] L'ironie n'est pas isolée, elle est souvent le marqueur d'une oscillation, entre sincérité et mensonge, Entre humour et humeur, Toujours un pied dans le cercueil, de l'autre faisant des gambades (Vers tirés d'une lettre de Voltaire à Thiérot du 1er juin 1731) 1. L'essoufflement de l'ironie Ironie du sort : quand l'injustice collabore à édifier l'harmonie générale, qu'un théoricien meure de ses propres théories, ces incohérences globales composent ce qu'on appelle vulgairement l'ironie du sort. Constante dans le Dictionnaire philosophique, elle essouffle laa force de l'ironie, puisqu'elle est ironie d'ironie. Ironie du sort anecdotique : Article PROPHETES On croit que le roi Amasias fit arracher les dents au prophète Amos pour l'empêcher de parler. [...]
[...] Constamment au service d'une critique acerbe et explosive, l'ironie peut s'en trouver contaminée et mourir au profit de sa rivale : l'indignation nette. Cette ironie corrosive et destructrice semble ne rien respecter : Mécanismes et ressorts de l'ironie, style et arme privilégiées dans le Dictionnaire Philosophique Il n'y a pas une seule nature d'ironie voltairienne. Voltaire emploie une véritable panoplie d'outil, conformément à sa volonté : (d'Argental : mai 1766 Il faut attaquer le monstre de tous les côtés et avec toutes les armes L'ironie se ressent d'abord à travers un certain nombre de procédés qu'on peut identifier et classer en fonction des cibles visées, parce qu'elles sont particulièrement récurrentes. [...]
[...] L'arabesque voltairienne : le discours autre. Très à l'écoute de son siècle, si bien que certains ont fait de lui un journaliste avant l'heure, Voltaire n'en est pas moins un classique, très imprégné par la pensée du XVIIe siècle, en tout cas littéraire, esthétique. De la même façon que se développent encore au XVIIe siècle, les cabinets de curiosité où des miroirs vous offrent un reflet autre, étrange, Voltaire nous offre une antiphrase qui cette fois-ci, présente de nombreux points de contact, non plus avec la symétrie mais bien avec l'anamorphose. [...]
[...] C'est pourquoi les gros livres de Leibniz, associé au terme de paraphrase, montrent que Leibniz n'est que vain bavardage, dévalorisation intellectuelle immense surtout pour un auteur qui fait de la brièveté le critère de son dictionnaire. Le 9 janvier 1763, il écrit à son éditeur La vie est trop courte pour lire de suite tant de gros livres. Malheur aux longues dissertations Le raisonnement se trouve donc complètement vicié par l'antiphrase qui invite à la plus grande vigilance. Ce même procédé d'antiphrase filée est à l'oeuvre dans l'article CONCILES où se trouvent mêlées à la fois fausse admiration et fausse indignation, de façon désinvolte. [...]
[...] Ce qui nous invite à interroger le cas de la fausse citation. La pseudo citation Philippe Lejeune écrit au sujet de l'énoncé ironique : il fonctionne comme subversion du discours de l'autre : on emprunte à l'adversaire la littérarité de ses énoncés, mais en introduisant un décalage de contexte, de style ou de ton, qui les rende virtuellement absurdes, odieux ou ridicules, et qui exprime implicitement le désaccord total de l'énonciateur. Effectivement, Voltaire emprunte la littéralité des expressions de Leibniz pour faire penser que ce sont bien les siens le meilleur des mondes possibles tout est bien ce qu'il y avait de meilleur que tout allait au mieux A côté de cela, Voltaire donne des indices significatifs, évoqués dans la première partie qui s'attachait à l'ironie qui saute aux yeux, justement pour dessiller les yeux du lecteur. [...]
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