L'ironie dans les trois premiers romans de Jean Rouaud n'a été relevée que de façon anecdotique par la critique. Or, rien de plus présent que cette ironie plurielle dans la trilogie. Arme d'autodéfense, œil critique, elle assure la connivence du lecteur avec ses cibles. Le rapport complexe qu'entretient le narrateur avec le monde explique cette volonté de trouver le langage qui l'aide à surmonter le vide de la mort du père et à s'intégrer dans une société où il joue le rôle de l'étranger. Réflexe, seconde nature, attitude d'esprit, l'ironie se confond avec le style roualdien tout entier.
[...] Le grand-père apparaît alors, pour ses petits-enfants, comme le fils prodigue revenant au monde. Ils éclatent de rire, pour mieux exprimer leur soulagement. Pour aller dans le sens du critique Jean-Pierre Richard, cet épisode illustre sans doute tout le projet romanesque et poétique de l'auteur : inventer un langage qui désamorce ludiquement l'angoisse, retrouver, soutenir, assumer une certaine charge fondamentale d'émotion tout en l'empêchant de déborder dans l'indicible ou l'impensable. Bibliographie : Jean Rouaud, Les Champs d'honneur, Des hommes illustres, Le Monde à peu près, Editions de Minuit, Paris Philippe Hamon, L'ironie littéraire, Essai sur les formes de l'écriture oblique, Editions Hachette, Paris Jean-Pierre Richard, Terrains de lecture, Editions Gallimard, Paris Philippe Hamon, L'ironie littéraire, Essai sur les formes de l'écriture oblique Editions Hachette Livre, Paris L'humour et l'humour noir, dont Jean Rouaud fait également usage, font donc partie intégrante de l'ironie puisque l'un et l'autre se situent dans cette gamme qui va du sourire au rire Jean Rouaud assure que ce fut une découverte lorsque ses lecteurs lui ont confié avoir ri à la lecture des Champs d'honneur. [...]
[...] Mais, évidemment, l'ironie ne peut se réduire à des contraires. D'autres figures de style permettent l'ironie, comme la comparaison, la métaphore, l'euphémisme, la périphrase ou encore l'hyperbole. Jean Rouaud utilise spécialement ces deux dernières et leur fréquence s'explique par le fait qu'elles sont liées au style d'écriture, qui est ample, long et délié : Pour elle, le stylo à bille ouvrait une ère de décadence, l'abandon des pleins et des déliés et de là, elle le pressentait, des accords du participe passé et de la concordance des temps Après si jamais d'r des exceptions et des accents circonflexes Le chapeau de la cime est tombé dans l'abîme toutes ces beautés du verbe qui donnent le vertige et qu'elle enseignait à coup de formule magique Je commence à m'apercevoir que le verbe apercevoir ne prend qu'un p Le stylo à bille, c'était le cheval de Troie gros des quatre cavaliers de l'Apocalypse, une sorte de Babel terminal où s'anéantiraient la langue et le monde (CD'H, p.78). [...]
[...] De danseuses, disent-ils. Si ça vous amuse (MAPP, p.20). Symboliquement, ce sont les mêmes petits pas de danseurs qu'à travers l'ironie le narrateur exécute face à la mort, mort qui est et qui reste la force brute. Ce langage inventé, il est métaphoriquement annoncé au début des Champs d'honneur lorsque la pluie envahit l'habitacle de la 2CV conduite par le grand-père et criblée de gouttes de pluie. Les enfants réagissent à cette sournoise invasion par le jeu de la bataille navale. [...]
[...] Cette ironie du détail se trouve le plus souvent dans les descriptions minutieuses du narrateur : C'est pourquoi, foulard en cotonnade indienne autour du cou, vous me voyez, sans comprendre peut-être, dribbler les flaques, contourner les taupinières, ces petits volcans de terre meuble hauts comme trois pommes qui jalonnent les mauvais terrains, slalomer entre les gouttes de pluie, offrir une passe à un adversaire, éviter d'un saut délicat un homme à terre, envoyer le ballon droit dans les bras du gardien rival, ce qui le dispense de se vautrer dans la vase même si à ce niveau on n'attend pas de lui d'envolées spectaculaires, ces plongeons de dauphin qui font les délices des ralentis le dimanche soir sur les écrans de télévision, images tournées à des années-lumières d'une rencontre intersidérale entre Mars et Jupiter, lui se contentant généralement de tendre la main, d'allonger la jambe ou, si le tir lui semble trop violent, tout en se protégeant la tête de ses bras repliés, de se retourner en opposant dos et postérieur, lesquels font montre parfois d'une vista surprenante (MAPP, p.13). Rien n'échappe à l'œil du narrateur dans cette observation microscopique. [...]
[...] Chez Jean Rouaud, cette complexité de l'ironie est renforcée par une utilisation atypique du vocabulaire. Son écriture s'accorde parfaitement avec un certain esprit ludique, qui sied parfaitement à l'ironie, et qui se lit dans cet emploi somme toute assez original du vocabulaire. Ainsi, la religion et l'Histoire intégrées au langage fondent de nombreux aspects comiques. Car il reste assez surprenant pour le lecteur de tomber sur des comparaisons ou des métaphores dans lesquelles la disproportion entre le comparé et le comparant est burlesque. [...]
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