C'est par le biais des contes que Voltaire, selon des procédés qui lui étaient propres, critiquait les abus de la société de son temps. Ainsi, en 1759, à l'occasion d'une critique satirique de l'optimisme, son héros naïf (Candide ou l'optimisme) terminait son périple par cette réflexion : "il faut cultiver notre jardin".
A propos de L'Ingénu, édité en 1767, René Pomeau affirme : "si l'on devait dégager de ce conte de L'Ingénu une moralité, on pourrait dire que le sauvage ne devient vraiment "bon" qu'à condition de cesser d'être sauvage".
L'affirmation est étonnante d'abord au regard du conditionnel "si" qui suppose l'absence d'une moralité implicite, là où le conte, au contraire se termine par "malheur n'est bon à rien"» et ensuite dans sa forme antithétique du "sauvage" qui cesse "d'être sauvage", nous laissant face à une impossibilité.
Après avoir expliqué la notion de "bon sauvage" au dix-huitième siècle et spécifié l'apparente moralité de la fin du conte, il s'agira de montrer comment le Huron devient "bon" et ce que ce changement implique comme paradoxe, confirmant ainsi l'antithèse de René Pomeau (...)
[...] Avec Voltaire, le «sauvage» se civilise et contrairement à la dégradation que propose Rousseau, il présente cette éducation comme une perfection des qualités du Huron. Le «bon sauvage» ne le devient donc ne naît pas sauvage, on le devient qu'après une éducation philosophique, arme contre tous les préjugés, dénoncés sous la plume de nombreux écrivains du dix-huitième siècle. Il est à noter que cette lutte, pour nécessaire qu'elle fut à conduit à un autre préjugé, celui de la raison qui exclut d'office ce que l'intelligence humaine ne saurait appréhender, reniant les œuvres de l'imagination. [...]
[...] En effet, Voltaire, «n'avait guère d'illusion sur la bonté naturelle de l'homme» affirme Levi Zvi dans l'Ingénu ou l'anti-Candide (Studies on Voltaire and on the eighteenth centuries) qui voit dans les chapitres de l'embastillement des «bréviaires de la pensée de Voltaire». Ce dernier a par ailleurs critiqué la position de Rousseau qui affirmait : nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable». Même si l'auteur du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes ne croyait pas en l'existence de l'homme naturel, il a présenté un réquisitoire contre la société et les progrès qui pervertissent les hommes et le dégradent. [...]
[...] Ainsi, au chapitre trente, lorsque Candide rencontre un vieillard musulman heureux vivant en autarcie, il fait la rencontre avec l'homme peu ambitieux, généreux, accueillant contrastant ainsi par son mode de vie, avec celui, atroce, connu en ville. Dans l'Ingénu, cette bonté est incarnée dès le début du conte, sous les traits de l'abbé de Kerkabon et de sa sœur vivant dans leur petite société de Basse Bretagne, l'antithèse du monde corrompu de Versailles, que le héros aura à rencontrer. Ce choix de personnages caricaturaux, présents dans l'ensemble des contes de Voltaire sert une fin dont la moralité varie selon les récits, éclairant ainsi la pensée de Voltaire. [...]
[...] mais j'ai perdu la mienne». Cependant, ce changement suppose une disposition d'esprit le rendant possible et qu'énonce le paradoxe de la citation de René Pomeau. En effet, le sauvage doit «cesser d'être sauvage». Une antithèse, s'il en est et qui interroge sur son sens. Devenu officier, au dernier chapitre, l'Ingénu paru sous un autre nom à Paris» nous dit le récit. Il s'agit bien là d'une «dénaturation», de celui qui n'est même pas nommé et perd ainsi son identité. [...]
[...] Une réaction violente de Voltaire s'en est suivie, dans une lettre ironisant ainsi : me prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage», vis-à-vis de celui à qui il reproche de dire des «vérités» [aux hommes] sans les corriger. C'est en effet l'éducation de l'Ingénu, à l'œuvre au centre du conte, à la Bastille, qui rendra le héros au sens voltairien du terme. Le dénouement du conte l'illustre bien, l'élan fougueux de l'Ingénu s'est heurté aux conventions religieuses et sociales et le Huron «sauvage» du début a appris la décence, la bienséance et la maîtrise de soi et cela, au contact du janséniste Gordon. [...]
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