Le roman d'Énéas est l'un des plus vieux romans à être écrit en langue française, dans l'intention de le rendre lisible par le peuple et non plus seulement par les savants. Au XIIe siècle, date approximative de sa publication, l'objectif des lettrés n'était pas de créer une littérature nouvelle mais de rendre les œuvres des Anciens accessibles. Ces textes de référence ont survécu ainsi, au gré des adaptations qui en étaient faites. Le roman d'Énéas est tiré de l'Énéide de Virgile. Si Virgile, à travers son texte, a réussi à imposer son art en son temps, il était évident qu'il ferait l'objet d'une réécriture en tant que texte fondateur. L'auteur du roman d'Énéas s'est donc chargé de transposer l'univers mis en place par Virgile dans un monde contemporain. La traduction ne s'est pas opérée uniquement sur les mots mais aussi sur les mœurs, les personnages et l'idéologie développée. Il est toutefois possible de s'interroger sur les buts réels de cette opération. La traduction, et plus encore peut-être la réécriture, sont des travaux littéraires, quand bien même cela n'était pas perçu ainsi à l'époque. En tant que telle, la volonté propre à celui qui écrit peut transparaître, en dépit des intentions affichées.
[...] L'Énéide est le texte de Virgile, au même titre que l'Odyssée celle d'Homère (que ce dernier ait existé ou non, le fait est que c'est ce nom qui est cité). Au Moyen-âge, la place de l'œuvre et plus encore celle de l'auteur étaient différentes. Il n'y avait pas d'auteur, seulement une personne savante qui retranscrivait son savoir pour étendre la connaissance d'une œuvre. Cela passait notamment par la traduction, mais pas seulement : il fallait calibrer le texte pour le public qui le recevrait. C'est-à-dire que plus encore qu'une traduction, il s'agissait d'une adaptation censée être plus simple, plus abordable. [...]
[...] Il ne peut pas y avoir de rival quand il n'y a qu'un seul nom au tableau. Il doit être rival de quelque chose, pas rival dans l'absolu. À partir de là, soit il ne voulait pas prétendre être un rival, soit il situait directement son œuvre comme rivale de l'Énéide. C'est-à-dire que les qualités de celle-ci (et fatalement des siennes) étaient supérieures à celles du modèle librement réécrit. L'articulation du texte et les choix de l'auteur ne permettent pas de rejeter cette possibilité. [...]
[...] Il la fait sienne, pour la distribuer, certes, mais il s'agit là de son travail à lui, et non plus de celui de Virgile. L'auteur, en son nom qui n'existe pas, n'a pas désiré défier Virgile. Cela ne se faisait pas. Mais son texte, lui, semble défier l'Énéide, montrer ce qu'il manquait de passion, de pathétique. Il jugeait l'œuvre de Virgile par rapport à son temps, à ce que le public en attendait et il s'est fait l'outil de cette transposition. [...]
[...] L'auteur du Roman d'Énéas n'a-t-il réellement aucune ambition de rivaliser avec L'Énéide de Virgile ? Le roman d'Énéas est l'un des plus vieux romans à être écrit en langue française, dans l'intention de le rendre lisible par le peuple et non plus seulement par les savants. Au XIIe siècle, date approximative de sa publication, l'objectif des lettrés n'était pas de créer une littérature nouvelle, mais de rendre les œuvres des Anciens accessibles. Ces textes de référence ont survécu ainsi, au gré des adaptations qui en étaient faites. [...]
[...] Le roman d'Énéas est concurrent de l'Énéide, car il propose une autre vision plus encore qu'une traduction. Un choix de préférence peut être fait entre les deux, ils ne sont pas similaires, la langue d'écriture n'est pas le seul facteur changeant. Néanmoins, l'auteur ne se définit là que par son œuvre, pas en son nom propre. L'œuvre est rivale, pas les auteurs. [...]
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