« La photographie acquiert un peu de la dignité qui lui manque, quand elle cesse d'être une reproduction du réel et nous montre des choses qui n'existent plus. », affirmait Proust. Roland Barthes s'interroge dans la Chambre claire sur le rôle de la Photographie, c'est-à-dire si cette technique est un art et pourquoi elle peut toucher le spectateur. Il donne ainsi une critique de la Photographie, présentant les différents points de vue, celui du photographe, celui de photographié et celui du spectateur. Mais c'est surtout le rôle du spectateur que Barthes développe. Dans sa tentative de nommer une essence de la Photographie, la démarche de l'auteur présuppose qu'il s'attarde sur l'affect (puisqu'il va tenter d'extraire son essence de l'affect qu'il éprouve en la regardant). Cela présage également l'impossibilité de saisir la photographie autrement, ce que souligne Barthes: « n'est-ce pas l'infirmité même de la photographie, que cette difficulté à exister, qu'on appelle la banalité ? ». De son point de vue, la photographie apparaît comme transparente et on ne peut l'étudier que par son référent. Pour Annie Ernaux, la photographie joue également un rôle important dans sa vie d'écrivaine. Elle est l'auteur d'un essai, mais dans la Honte, elle se réfère à deux photographies personnelles de son enfance pour évoquer le début du malaise qui la poursuit. En effet, lors de sa douzième année, son père tente d'assassiner la mère. Le souvenir est si fort, qu'elle recherche dans le matériel, et par là même la photographie, le besoin de reconstituer cette époque pour mieux la démystifier. L'enjeu pour Annie Ernaux n'est plus critique, il est uniquement humain, elle a besoin de ses photographies pour reconstruire un univers qu'elle ne connaît plus depuis l'incident.
Ces deux auteurs, bien différemment, intègre au texte des images. Si Barthes livre des clichés qu'il tente d'interpréter par sa théorie, il ne nous livre pas la photographie de la mère qui anime toute la seconde partie du livre, plus romancé, plus intimiste que la précédente. Les deux photographies d'Annie Ernaux ne nous sont pas non plus confiées, elles n'apparaissent que par des mots, et sont elles aussi des photographies intimes de l'enfance. Il s'agit de voir comment, dans les textes étudiés, est rendu le sentiment éprouvé par l'instance narratrice face à la photographie, « photographie impressive », et comment la recherche de soi-même est impossible de manière absolu, même si elle est le cœur du sujet.
[...] Les deux photographies d'Annie Ernaux ne nous sont pas non plus confiées, elles n'apparaissent que par des mots, et sont elles aussi des photographies intimes de l'enfance. Il s'agit de voir comment, dans les textes étudiés, est rendu le sentiment éprouvé par l'instance narratrice face à la photographie, photographie impressive et comment la recherche de soi- même est impossible de manière absolue, même si elle est le cœur du sujet. Il faut se demander comment la photographie est mise en page par l'écrit, par la description, le choix des clichés ; s'attarder sur la photographie comme lien pour la mémoire, de la réalité évoquée au constat dans le temps ; pour examiner les dissemblances et le sens que donnent à la photographie ces écrivains, cette recherche de soi-même dans l'essence de la photographie. [...]
[...] On retrouve d'ailleurs un cadre spatio-temporel, et même la valeur du on change. Sur l'autre photo, petite, rectangulaire, je suis avec mon père devant un muret décoré de jarres de fleurs. C'est à Biarritz, fin août 52, sans doute sur la promenade longeant la mer qu'on ne voit pas, au cours d'un voyage organisé à Lourdes. [ ] Mes cheveux ont poussé en trois mois, formant une sorte de couronne moutonnée, retenue par un ruban autour de la tête. La photo est très floue, prise avec l'appareil cubique gagné par mes parents dans une kermesse avant la guerre. [...]
[...] Il en est de même pour Ernaux, si dans les deux photographies que l'auteur présente elle ne nie pas explicitement que ces clichés sont sa propre personne, elle ne nous les présente pas de la même façon. La première est présentée comme la photo d'une jeune fille, dont on ne sait le nom, à la troisième personne, avec un détachement marqué par l'absence de tout indice d'identité. Il y a alors un point de vue externe, une certaine objectivité dans cette description avec les articles indéfinis, une troisième personne du singulier. [...]
[...] Le lecteur par des indices divers comprend qu'Annie Ernaux réfute l'appartenance à la première photographie et la romance alors qu'elle adopte la seconde comme l'anecdote autobiographique. Barthes, lui aussi, quitte l'essai sur la photographie pour romancer la quête de la mère qu'il entreprend au travers des clichés. Si leur cheminement est différent, c'est la connaissance de soi qui semble être l'enjeu des deux textes. L'intimité dont ils font preuves apparaît comme l'interrogation première et à laquelle ils répondent : la photographie est tout ce qu'ils recherchent, aussi bien l'amour que la mort, le souvenir que la peur. Il suffit juste que le cliché soit personnel. [...]
[...] Devant la photo de Pinay, j'ai été frappé par sa ressemblance avec Giscard d'Estaing, non l'actuel, décrépit, mais celui d'il y a vingt ans. Le numéro du samedi comportait une rubrique Pour vous mesdames J'ai perçu une vague ressemblance entre certains modèles de vestes et celle que je porte sur la photo de Biarritz. Mais, pour le reste, j'étais sûre que ni ma mère, ni moi n'étions habillés de cette manière et dans les styles de coiffure proposés ne figurait pas ma permanente en couronne, semi-défrisé, de la même photo. Pour Barthes, les photographies sont nombreuses dans la première partie de l'œuvre. [...]
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