Qu'est l'illusion au théâtre ? La Bruyère, dans le fragment 47 des Ouvrages de l'esprit des Caractères fait l'éloge « de cette douce illusion qui est tout le plaisir du théâtre ». Le théâtre nous donne à voir en effet pour réel ce qui ne l'est pas, nous trompe, mais de notre plein gré, à l'inverse du « theatrum mundi » de la comédie humaine dans laquelle nous sommes engagés et jouons un rôle sans nécessairement en avoir conscience. Selon un critique contemporain, Pridamant, dans l'illusion comique de Corneille, est « l'objet-bénéficiaire ou victime- de l'illusion ». La citation nous invite à réfléchir sur le rôle de Pridamant dans le mécanisme de l'illusion théâtrale de la pièce, nous amenant aux questions suivantes : « En quoi le personnage de Pridamant tient le rôle principal du dispositif principal de l'illusion ? Que percevoir alors des manœuvres du mage Alcandre ? En quoi le dénouement heureux traduit-il le « gai savoir de l'illusion ? » Nous verrons que Pridamant met en abîme la condition du spectateur et l'entraîne dans l'illusion. Puis nous analyserons l'évolution du personnage de Pridamant au fil de la pièce avant de nuancer la situation initiale en montrant que pour Corneille, le théâtre est un mensonge qui dit vrai, qu'on ne peut être bénéficiaire de l'illusion sans en être victime.
[...] L'illusion repose en effet sur le fait que Corneille donne une impression de continuité, de linéarité à la pièce alors qu'elle est en réalité un enchâssement de trois pièces distinctes. L'acte la pièce de théâtre, s'enchevêtre dans une autre pièce, l'acte II, III, et IV, qui est celle de la représentation de la vie passée de Clindor, elle-même embrassée par le premier acte et la fin de l'acte V de la représentation du dialogue entre Alcandre et Pridamant. Ce en quoi Pridamant joue le premier rôle dans ce dispositif illusionniste, c'est que sa fonction est moins d'être piégé que de nous entraîner dans son erreur. [...]
[...] L'illusion de la mort de Clindor lui a permis de l'accepter tel qu'il est, comme un acteur. Mais c'est à ce moment précis que l'illusion peut être considérée comme une magie noire. Le but d'Alcandre n'est pas seulement de faire se retrouver Pridamant et Clindor, mais c'est surtout de dessiner une vaste apologie du théâtre. On peut le voir au début de la pièce où le magicien démiurge prépare le père à admettre la noblesse et l'honneur du métier de comédien à la deuxième scène du premier acte. [...]
[...] Finalement, peu importe le destin des personnages. Mais bien entendu, Pridamant est inconscient de cette visée. Pour lui, comme pour nous, la représentation de la réalité donnée par Alcandre est la réalité même. C'est tout le plaisir du spectateur de théâtre de prendre pour réel ce qui ne l'est pas. Dès lors, l'émotion générée par la mort de Clindor, qui n'est qu'une illusion, lui fait perdre ses valeurs, qui sont- elles, bien réelles. En effet, Pridamant avoue sa métamorphose à la dernière scène : J'ai cru la comédie au point où je l'ai vue, j'en ignorais l'éclat, l'utilité, l'expression Certes, cette conversion des affects a permis à Pridamant et à Clindor de se retrouver, mais qu'en serait-il si Alcandre avait présenté l'Acte V ce qu'il est, c'est-à-dire une représentation théâtrale ? [...]
[...] A la fin de la pièce, il reconnaît la supériorité de la perception existentielle du comédien : Le métier qu'il a pris est meilleur que le mien L'acteur joue, mais il sait qu'il joue. Pour le public, il en est de même ; ce que Pridamant vit sur la scène, il le vit dans la salle. L'exposition explicite de l'illusion, après en avoir été victime, nous invite à être lucides sur la fiction. Nous savons à la fin de la pièce que l'illusion est une illusion. [...]
[...] Nous allons voir que la magie d'Alcandre n'est ni noire ni blanche, mais qu'elle cherche à aiguiller l'homme sur le chemin de la vérité et de la connaissance. Autrement dit, l'illusion mise en place par Alcandre est la condition nécessaire et non contingente, de la réussite du traitement que subit Pridamant, et avec lui le spectateur, rendant sensible par effet de miroir le gai savoir de l'illusion. Tout d'abord, l'Acte V nous démontre que le théâtre imite la vie à s'y méprendre. [...]
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