Les conceptions de la morale, de l'amitié et de l'amour, dans le roman Aziyadé de Pierre Loti s'articulent toutes à partir du rapport de son héros à l'identité. Ces conceptions permettent à leur tour de mieux saisir comment l'identité peut être comprise. La correspondance du narrateur Loti, intercalée entre les tableaux et paysages de la vie turque qui composent son journal intime, témoigne de l'importance du rapport à l'Autre dans le trouble identitaire du héros. C'est d'ailleurs une lettre de son ami Plumkett qui offre une première définition de l'identité, lorsqu'il écrit : « Nous sommes, voyez-vous, le produit de deux facteurs qui sont nos dispositions héréditaires, ou l'enjeu que nous apportons en paraissant sur la scène de la vie, et les circonstances qui nous modifient et nous façonnent, …» Si l'amour d'Aziyadé est le moteur de la narration, la dynamique de refus et d'acceptation de la consistance identitaire est le moteur spirituel derrière cette relation amoureuse.
En raison d'une blessure émotive que son journal laisse supposer, Loti semble refuser le premier temps de l'identité, celui de « l'enjeu » qui nous précède, pour n'accepter que le second, celui des « circonstances modificatrices ». Évidemment, si l'on ignore l'enjeu qui nous précède, c'est-à-dire l'histoire sociale et familiale du sujet qui lui donne sa consistance, les circonstances de la vie ne sont plus modificatrices mais constitutives. Étant sans cesse renouvelées, ces circonstances ne pourront composer qu'une identité aussi instable et changeante qu'elles.
[...] Ton pauvre cœur est plein de contradictions[2] écrit la sœur de Loti. Or, ces contradictions de Loti apportent au texte sa logique oppositionnelle. Ces contradictions apparaissent d'abord entre son discours et sa conduite, pour ensuite se révéler au sein de sa pensée même : Je suis heureux, Plumkett ( ) Et pourtant je souffre encore de tout ce qui a été brisé dans mon cœur[3] Cette attitude contradictoire sera le reflet constant du déchirement éprouvé par Loti entre le souvenir de ses origines sa vieille mère, sa sœur, la maison familiale et l'expérience de sa vie turque l'amour d'Aziyadé, l'amitié de ses domestiques, et sa nouvelle identité. [...]
[...] dont il ne peut se retenir de révéler une partie dans les phrases suivantes. Et puis ce qui est passé est passé, n'est-ce pas? et ne nous intéresse plus. Il poursuit néanmoins : Plusieurs maîtresses, desquelles je n'ai aimé aucune, beaucoup de péripéties, beaucoup d'excursions, à pied et à cheval, par monts et par vaux; partout des visages inconnus, indifférents ou antipathiques; beaucoup de dettes, des juifs à mes trousses; des habits brodés d'or jusqu'à la plante des pieds; la mort dans l'âme et le cœur vide.[18] L'oubli du passé que recherche Loti implique un mépris pour les confidences. [...]
[...] C'est l'amour d'Aziyadé qui, ultimement, mène Loti au tombeau. Il eût mieux valu être un grand artiste, mon cher Loti[27] avait écrit Plumkett dans la même lettre. La mort au champ de bataille est bien celle du héros, mais elle est aussi l'aboutissement et l'accomplissement du rêve de la perte d'identité. Si l'écrivain est celui qui tente de posséder les récits qui l'habitent et qui le hantent, pour s'en rendre maître et s'en distancier, la mort de Loti, narrateur d'Aziyadé, marque clairement la naissance d'un écrivain. [...]
[...] J'ai ma pauvre chère vieille mère, elle est aujourd'hui un but dans ma vie, le but que je me suis donné à moi-même. Pour elle, je reste Loti, officier de marine.[8] Sans la figure de sa chère vieille mère dont le rappel est fréquent, Loti ne serait que ses explorations. Aziyadé est cette tentation que Loti essaie de repousser. Et lorsque le souvenir de la mère ou du jardin familial ne semblent pas suffire à retenir Loti, c'est l'influence du lien fraternel qui s'exerce. Tu es si heureux dans ce coin de l'Orient que tu voudrais toujours voir durer cet Éden. [...]
[...] Elles ont des costumes pittoresques et des nez crochus, de longues vestes ornées de paillettes, des sequins enfilés pour colliers, et, pour coiffure, des catogans de soie verte. Elles se dépêchent de lui enlever ses vêtements d'officier et se mettent à l'habiller à la turque, en s'agenouillant pour commencer par les guêtres dorées et les jarretières. Loti conserve l'air sombre et préoccupé qui convient au héros d'un drame lyrique.[4] La suite du récit laisse paraître toujours davantage l'aspect factice de son identité turque. [...]
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