Exposé sur les notions d'humanité et d'animalité dans la littérature concentrationnaire de Paul Célan, Robert Antelme et Primo Levi.
[...] Si les transferts métaphoriques entre règne humain et règne animal ont constitué depuis longtemps en littérature un motif esthétique riche et intellectuellement pertinent pour comparer deux manières d'être au monde et interroger la frontière entre nature et culture, ce topos du bestiaire a pris, avec la littérature des camps une dimension inédite et tragique. En effet, pour la première fois dans l'histoire, la représentation philosophique et biologique d'une coupure ontique entre les hommes et les autres êtres vivants est à cette époque directement remise en cause à un niveau idéologique avec le crédo nazi, mais aussi concrètement éprouvée dans son application avec l'expérience des camps, en passant de la théorie radicale à la pratique soldée par l'entreprise génocidaire. [...]
[...] Une reprise de ces images animalisantes peut ainsi servir de contre- point à la rhétorique des bourreaux afin justement de la renverser dans sa logique-même et de faire éclater l'autre réalité du camps. Le procédé est quasi systématique chez RA et souvent emprunt d'humour comme lorsqu'il utilise la focalisation du nazi pour démontrer l'absurdité du raisonnement ; par exemple au début du livre, il écrit : le SS regarde la paille, le dommage ; elle était abondante, honnête pour les vaches allemandes de la ferme allemande voisine qui donnent le lait aux enfants allemands. [...]
[...] Finalement, c'est paradoxalement le SS qui se retrouve prisonnier de son idéologie et la rhétorique des bourreaux s'inverse dans La Dialectique du maître et de l'esclave. En effet, de son côté le prisonnier renaît en tant qu'Homme dans son retour aux prémisses de l'existence biologique. Il acquière en fait une forme de liberté par son expérience de la vie instinctive, de l'exploration approfondie de l'univers perceptif qui le rapproche en ce sens, de ce que les grecs appelaient la métis c'est à dire l' intelligence des animaux, le flair, la ruse qui permet d'inverser ainsi les rapports de force, de même que le travail forcé pour certains. [...]
[...] L'image de la bête traquée est également utilisée par RA dans son dernier chapitre. Par ailleurs sont mobilisées l'image du troupeau et du grégarisme (avec le phénomène de proximité des prisonniers, parqués dans des ghettos, des camps, des baraquements, des wagons à bestiaux, que RA reprend à son compte au début du livre le SS nous laisse comme un troupeau, brouter notre travail et celle de la bête de somme dont le cheval et le mulet constituent les figures les plus courantes du bestiaire. [...]
[...] Chez PC, le traitement plus obscur de la thématique mêle réalisme et symbolisme pour que la signification universelle de l'image frappe d'évidence et en même temps nécessite un effort d'interprétation de la part du lecteur. Sur un mode plus naturaliste, mais tout aussi suggestif et subjectif, la description zoomorphe de RA participe quant à elle d'un témoignage emprunt d'humanisme qui souhaite rétablir de la façon la plus expressive possible la dignité de l'Espèce Humaine au cœur même de l'atrocité. Plus nuancées, les considérations objectives de PL sur l'humanité et l'animalité se rapprochent davantage de celles d'un sociologue voire d'un ethnologue ou d'un éthologue dans leur précision scientifique. [...]
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