I. Une tragédie du XVIIème siècle qui s'inspire de l'Histoire des origines de Rome
Trois ans après le succès public et la querelle littéraire du Cid (1637), Corneille choisit de s'emparer d'une histoire antique célèbre pour écrire sa première tragédie romaine, Horace. L'action se situe dans les débuts de l'histoire de Rome, sous le règne du troisième roi romain, Tullus Hostilius, dont le nom est francisé en Tulle par Corneille. Le dramaturge tire l'histoire des Horaces de l'Histoire romaine (livre 1er, chapitres XXIII à XXVI) de l'historien latin Tite-Live [-59 ? 17] et des Antiquités romaines de l'historien grec Denys d'Halicarnasse [Ier siècle avant notre ère].
La légende la plus répandue à propos de l'origine de Rome consistait à faire des-cendre les premiers Romains des derniers Troyens : dans son épopée L'Énéide, le latin Virgile [70 ? 19 ] raconte que quand Troie fut prise par les Grecs, qui détruisirent la ville et massacrèrent ses habitants, le Troyen Énée, fils de Vénus et du mortel Anchise, échappa au désastre grâce à la protection de sa mère et, suivant le sort qui lui avait été prédit, vogua vers l'Italie à la tête d'une troupe de survivants pour y fonder une ville qui devait dominer le bassin méditerranéen. Énée finit par aborder au centre de l'Italie dans une région surnommé le Latium, du nom du roi de ses habitants, Latinus et créa au bord de la mer la ville de Lavinia. Le chef troyen et Latinus s'allièrent pour combattre leurs ennemis communs, au terme de quoi Latinus mourut. Mais Énée lui rendit hommage en donnant son nom à un nouveau peuple issu de la fusion des Troyens et des habitants de la région : ainsi était né le peuple des Latins. Tite-Live et Denys d'Halicarnasse racontent qu'Ascagne, le fils qu'Énée avait eu d'une épouse troyenne, fonda à son tour la ville d'Albe-la-Longue dans l'intérieur du Latium (...)
[...] En outre, dans la pièce comme dans la réalité, les ennemis sont des voisins qui sont si proches qu'ils partagent la même culture et les mêmes valeurs. De même que Rome et Albe sont deux cités voisines qui entretiennent des liens intimes et en lutte avec ennemi commun (les Étrusques), de même la France et l'Espagne sont deux nations toutes les deux catholiques (et donc semblablement méfiantes envers le Protestantisme) et liées depuis longtemps : Philippe IV, roi d'Espagne, et Louis XIII, roi de France, sont liés doublement, puisque chacun d'eux est marié à la sœur de l'autre. [...]
[...] Reine de France par son mariage avec Louis XIII, Anne d'Autriche est quant à elle la fille du roi Philippe III d'Espagne. Elle est donc dans la même situation que le personnage féminin de la pièce inventé par Corneille, Sabine, albaine de naissance et romaine par son mariage. De plus, comme les Albains refusent de combattre les Romains (ils font paraître un front couvert ( ) / D'horreur pour la bataille v.321- 322), nombre de Français se voyaient contraints de combattre les Espagnols. [...]
[...] Le vol des oiseaux, manifestant la volonté des dieux, désigna Romulus comme fondateur (en 753 avant J.-C.). Celui-ci creusa avec une charrue le sillon traçant l'enceinte, mais Rémus enjamba par dérision le sillon sacré et Romulus le tua sous le coup de la colère : l'histoire de Rome commençait donc par un fratricide. Plus tard, alors que Rome avait déjà son troisième roi en la personne de Tullus Hostilius [672 641 selon la tradition], le chef albain, par ambition personnelle et soif de puissance, voulut écraser la cité voisine toujours plus imposante et hégémonique. [...]
[...] Douze rois succédèrent à Ascagne dans Albe, jusqu'à ce que le treizième, Numitor, fût détrôné et exilé par son frère, Amulius, qui tua en outre toute la descendance mâle de son frère. Mais une fille de Numitor, Rhéa Silvia, vestale et donc vouée à la virginité, fut violée et eut deux jumeaux, Romulus et Rémus, qu'Amulius ordonna de jeter au Tibre. La corbeille où on les déposa les préserva toutefois de la noyade et ils furent allaités par une louve et recueillis par un berger. [...]
[...] Les Horaces et les Curiaces sont donc unis par des liens de parenté comparables à ceux qui existent entre les deux villes : Ingrate, souviens-toi que du sang de ses rois / Tu tiens ton nom, tes murs et tes premières lois. / Albe est ton origine : arrête, et considère / Que tu portes le fer dans le sein de ta mère. (v.53-53) affirme Sabine en apostrophant Rome dans la première scène. Problématique : pourquoi Corneille choisit-il de revenir sur cette histoire bien connue et vieille de plus de 2500 ans, comment la revisite-t- il et quelle(s) leçon(s) en tire-t-il ? II. [...]
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