« Unité de l'homme, diversité de l'humain ». On pourrait inverser et dire : « diversité de l'homme, unité de l'humain ». Il s'agira toujours d'une différence et non d'une contradiction. Car il va de soi que les questions et les réponses relatives à cette problématique se transforment et changent de nature selon les objets précis de la pensée et les registres de référence : métaphysique, théologique, anthropologique, politique, biogénétique, etc. Ainsi l'unité découverte sur un plan serait-elle, probablement, perdue sur un autre. Ce constat vaut également pour la diversité. Aussi ce que nous avancerons aurait-il un sens relativement à un objet précis de réflexion : la représentation philosophico-anthropologique de l'altérité à l'âge des Lumières, notamment dans la pensée française au XVIIIème siècle.
[...] Le Supplément au voyage de Bougainville est surtout une géographie mentale qui renvoie au sens externe, à savoir l'espace. Aussi l'altérité ne peut-elle être conduite jusqu'au bout ; nous la voyons plutôt retomber dans l'extériorité. Or Diderot n'est pas seulement l'auteur du Supplément ; il est pour nous d'abord l'auteur de cette œuvre singulière qu'est le Neveu de Rameau. C'est d'ailleurs cette œuvre que Hegel privilégie, dans la Phénoménologie de l'Esprit, quand il analyse le langage du déchirement L'individualité, terme forgé par Diderot lui-même, est excentrique[8]. [...]
[...] En religion, le sauvage devient un infidèle ou un païen à convertir. En politique, il est un ennemi à redouter ou un allié à gagner. En littérature, il présente un cas exotique à relever et à décrire. En morale, il sert d'intuition sensible pour la nouvelle éthique humaniste et universelle. En somme, l'idée de sauvage à l'âge classique, notamment au XVIIIe siècle conduit le penseur, sinon au scepticisme gnoséologique, du moins au relativisme anthropologique. Toutefois, si le savoir primitiviste au siècle des Lumières accorde au sauvage le statut minimal de personne morale, avec les qualités qui en découlent (droits naturels, réciprocité, pitié, etc.), l'idée qu'il s'en était faite n'en demeure pas moins objectiviste et, par là, réifiante. [...]
[...] Or le temps est non seulement cet autre par excellence mais aussi la condition même de toute altérité véritable. Altérité, certes insoutenable, car le temps du récit est fait de mémoire, de souvenirs, de réminiscence et donc d'inquiétude. Le récit transcende la nature de l'homme -cet être oublieux (Insan en arabe)- afin d'instaurer l'inquiétude comme corollaire du combat contre l'oubli et rendre conséquemment possible la réciprocité humanitaire et l'éthique humaniste. L'oubli est l'antithétique de la morale. L'altérité est, dans la philosophie du XVIIIème siècle, une idée d'autant plus fine qu'elle est empruntée à un augustinisme métamorphosé et naturalisé afin de relativiser l'intellectualisme formaliste des Lumières. [...]
[...] Rappelons d'abord la problématique éclairante d'un post-Lumières : Hegel. Il y a chez lui une idée qui se dégage de sa philosophie de l'histoire: la détermination de ce qu'est l'homme renferme une contradiction, une sorte de négation interne et suppose donc une condition ou une limitation . Sous un rapport macro-historique, voire macro-philosophique, trois grandes limitations seraient possibles et impliqueraient trois grandes déterminations avec autant de négations et d'exclusions : D'abord, une Limitation grecque : l'homme est soumis à la condition d'être citoyen, notamment celle d'être membre d'une cité grecque. [...]
[...] L'homme actuel est un au point de vue de l'essence (la nature), mais il est pluriel du fait des lois qui le gouvernent. C'est ce que ne cesse de répéter Diderot. La tâche véritable de la philosophie est de supprimer le caractère violent de l'opposition entre unité et diversité. Il ne s'agit donc pas de supprimer l'opposition en elle-même. L'altérité est d'abord en nous. C'est pourquoi Rousseau et Diderot, chacun selon sa méthode propre, préconisent une plongée dans le moi C'est ainsi que le philosophe rejoint la sphère où il devient possible d'être soi-même et un autre. [...]
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