1814 : quinze années de despotisme napoléonien ont conduit l'opinion éclairée à prendre ses distances avec la mouvance révolutionnaire. Cette aspiration à revenir à un régime libéral et à une monarchie raisonnable se traduit le 4 juin 1814 dans la Charte octroyée par Louis XVIII, lequel entend « renouer la chaîne des temps que de funestes écarts on interrompue » et rattacher la monarchie restaurée à l'Ancien Régime. Une fois la parenthèse des Cent Jours refermée et les Bourbons réinstallés sur le trône, Louis XVIII, en convoquant les collèges électoraux, trouve une opinion publique divisée entre une gauche libérale, un centrisme composé de monarchistes modérés, et une droite dans les rangs de laquelle on trouve des ultraroyalistes fédérés par une aversion commune pour le jacobinisme et une inclinaison pour un traditionalisme qui prône un retour aux valeurs de la religion et à un Etat patriarcal. Pourtant, dès la parution de la Charte, la droite se ramifie : de 1815 à la Chute des Bourbons en 1830, son histoire est émaillée de divisions idéologiques et politiques qui participeront de beaucoup à l'échec de cette seconde Restauration. Comment les partisans de l'ultracisme ont-ils finalement été ceux-là mêmes qui signèrent sa perte ?
[...] Alors que les doctrinaires, partisans du juste milieu y voient l'aboutissement naturel et raisonnable de l'évolution historique et s'accordent avec l'intention de nationaliser la royauté pour royaliser la nation les ultras sont plus mitigés. Certains considèrent que le texte est suffisamment vague pour permettre des interprétations personnelles, et acceptent ce consensus par soumission, d'autant que la Chambre des pairs refuse à siéger ceux qui ne prêtent par serment. D'autres, plus royalistes que le roi, intransigeants et rétifs à toute forme de compris, refusent clairement de prêter serment. Il n'est pas question d'investir une part des acquis de la Révolution dans la monarchie. [...]
[...] Pour les partisans de l'école théocratique, la Révolution est un châtiment divin, une sanction de la décadence morale et religieuse du XVIIIe siècle. La Mennais la définit comme le renversement des doctrines qui, depuis l'origine du monde, ont été le fondement des sociétés humaines. On la reconnaît bien moins à ses atroces violences qu'à sa haine réfléchie pour le christianisme. (De la Religion). Par opposition à l'athéisme révolutionnaire, la doctrine politique et la philosophie sociale de l'ultraroyalisme ne sont pas concevables en dehors de cette perspective religieuse qui aspire à réunir le trône et l'autel En but à l'article 6 de la Charte qui reconnaît la liberté des cultes, les ultras, sincèrement convaincus de la bienfaisance de son rôle dans l'Etat, souhaitent rendre à l'Eglise son importance et son indépendance, la rétablir dans ses droits, ses dignités et ses biens. [...]
[...] Voilà ce qui explique peut-être pourquoi une partie de l'opinion publique est dans leur camp : beaucoup de français ont espéré trouver dans le retour de la dynastie une échappatoire à la tyrannie impériale et une digue aux despotismes futurs (la Terreur Blanche devait très vite en faire déchanter la plupart). S'ils souscrivent à la liberté à commencer par la liberté de la presse qui leur permet de faire passer leurs idées l'égalité s'avère être une notion incompatible avec la philosophie politique des ultras, basée sur l'observation de la nature - où tous les êtres sont différenciés et de l'histoire - qui montre, selon eux, que les sociétés les plus viables sont fondées sur l'inégalité. [...]
[...] L'existence officielle du parti ultra prend fin sur le refus d'une minorité de parlementaires d'entériner le transfert de la couronne et de voter la Charte révisée. Les Bourbons cèdent le trône à la dynastie des Orléans, l'ultracisme fait place au légitimisme. Stendhal disait que lorsqu'on cherche à conserver une chose, c'est que la chose en question a déjà disparu. Impuissante à préserver l'union de son parti, il semble que la droite ultra ait précipité la fin de la seconde restauration, parce qu'elle n'arrivait pas à concevoir qu'un changement important avait eu lieu, et que vouloir faire machine arrière était une entreprise vouée à l'échec. [...]
[...] Le seul passé politique de la plupart d'entre eux se résume à des faits d'armes contre la République ou des conspirations contre l'Usurpateur. Il faut cependant nuancer puisque, parmi les ultras, on en trouve certains qui ont fait preuve de clairvoyance, à l'image d'un Montlosier qui dira la France révolutionnaire ne redeviendra certainement une monarchie qu'en conservant une partie des institutions et des formes de la révolution Il semble cependant que ses propos n'aient pas été entendus par tous Quoi qu'il en soit, si cette droite que la chute de la monarchie et la ruine du régime ont rendue inutile et caduque a réussi à persister, c'est avant tout parce qu'elle proposait, davantage encore qu'une formule de gouvernement, une conception de société : l'aspiration à un Etat paternel et patriarcal, en réponse à l'Etat anonyme, impersonnel et administratif moderne C'est cette Restauration qui, en échouant, a pourtant permis la naissance de la droite telle que nous la connaissons aujourd'hui. [...]
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