"The key word is ambiguity." Cette phrase de Tetel me semble assez représentative du problème du statut narratif de L'Heptaméron. Mais de quelle ambiguïté s'agit-il? Parle-t-il de l'ambiguïté du langage ou de l'ambiguïté de la structure du texte? La structure du texte imposée par les événements (les huit journées, le prologue et les nouvelles) me semble être un voile qui masque une structure déliée, manipulée voire même liquéfiée (et ce mot nous rappelle les "baings" ) au point de redéfinir la notion de structure elle-même. J'aimerais montrer que cette errance dans le corps du texte reflète une errance philosophique et pragmatique autour de la question de l'homme, question centrale au XVIème siècle.
Pour évoquer cette question de la labilité de la structure, il faut nous intéresser à l'hypertexte c'est-à-dire le texte qui fait office de commentaire après la nouvelle et dont le genre n'est pas clairement défini. Cet hypertexte, qui semble en marge du texte dans la mesure où il est isolé de celui-ci (car il vient après, en plus ou à côté du texte et même à la limite), devient en fait propulsé au devant de la scène au point de guider les nouvelles et d'influer sur leur lecture. Il implique d'ailleurs une lecture récursive puisqu'on révise l'histoire, on en parle au point que cet hypertexte devienne le centre et le texte lui-même en marge de celui-ci. Il est transformé soit en allégorie, soit en parabole soit en conte à rire touchant à la farce, au grotesque et à la bouffonnerie.
[...] Cet appel à la narration nous prouve que les commentaires sont plus évidents dans l'histoire elle-même que dans les réflexions des devisants. En adoptant une deuxième lecture, nous pouvons décrypter certains éléments qui auraient pu être sujets à un commentaire. La cruauté n'est qu'un prétexte, mais c'est bien de la liberté de parole dont il est question : pour ce qu'il n'avait pas la liberté de parler à elle comme il voulait, selon la coutusme du pays.»[42] Or, cette liberté de parler est le thème majeur de l'Heptaméron et le vecteur de la tolérance et de l'humanisme. [...]
[...] Derrière la comparaison de Parlamente entre les maris et les femmes et le Christ et l'Église, entre en scène la place de l'homme dans le monde et son rapport à l'Écriture. Il est vrai que L'Heptaméron est construit autour d'un "effet kaléidoscopique" kaleidoscopic effect")[21] et Tetel analyse très finement les jeux de structure, les miroitements entre certaines nouvelles; il évoque d'ailleurs une autre classification des nouvelles (autre que celle du déroulement des huit journées) qui serait thématique et qui viendrait de ce fait concurrencer la structure linéaire. [...]
[...] Autrement dit, nous avons en marge du texte un entremêlement de commentaires, de propos et de discussions. On ne peut jamais dire qu'un hypertexte d'une nouvelle est un commentaire précis de A à Z puisqu'il y aura des éléments qui se rapporteront plus à une discussion de fond, faisant ainsi intervenir les positions des différents devisants. Tout se passe comme si la nouvelle était un pré-texte aussi bien qu'un prétexte, c'est-à-dire quelque chose qui devient en marge d'une discussion qui devient centrale. [...]
[...] En fait, les nouvelles de Marguerite de Navarre tournent autour de cette idée de tolérance qui s'applique à tous les sens du terme : nous apprenons à devenir tolérants par la polyphonie des voix narratives et nous savons qu'il faut tolérer quelques marges, c'est-à-dire quelques écarts par rapport aux Écritures. C'est pourquoi nous comprenons facilement pourquoi Marguerite de Navarre a pu être suspectée d'avoir des sympathies protestantes dans la mesure où elle semble défendre cette idée de tolérance qui est au cœur du protestantisme. [...]
[...] Geburon voulait valider encore une fois la thèse de cette nouvelle mais finalement il en obscurcit encore plus le sens avec ce propos littéralement hors sujet. Le dernier propos du commentaire invalide complètement cette nouvelle puisque Oisille déclare "puisque nous sommes icy pour dire vérité"[43]. Mais qu'ont-ils dit si ce n'est des propos dénués de bon sens, des stéréotypes ou des digressions? Si vérité il y elle est dans la démarche spontanée des devisants plutôt que dans la cohérence de leurs propos. Ce que dit Tetel, à propos du style de Marguerite de Navarre, me semble tout à fait juste. [...]
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