Commentaire d'une phrase de Diderot à partir de deux oeuvres du philosophe : Le Fils Naturel et le Rêve de d'Alembert. L'œuvre de Diderot est une œuvre charnière qui se situe au confluent de la pensée antique et de la pensée moderne, autour de la notion polysémique du concept de 'philosophie populaire'. On peut déjà se demander dans quelle mesure l'œuvre théâtrale de Diderot est une œuvre philosophique. Mais aussi, quelle est donc la réalité qui gît sous le concept de 'populaire' au XVIIIème siècle ? S'agit-il d'une proposition dont la portée se limite au champ épistémique ou porte-t-elle déjà en germes les ferments d'une révolution des esprits, cette fois se propageant jusqu'au domaine social et politique?
[...] Dans la même logique, le problème de l'illusion théâtrale et dialogique rend compte de la volonté de l'auteur de laisser la parole à ses personnages. Dans la série des trois textes philosophiques, la présence du double de l'auteur dans le texte, Diderot, disparaît progressivement : initiateur de la réflexion dans l'Entretien entre d'Alembert et Diderot, il disparaît de l'énonciation des deux autres textes. De la sorte, il permet l'émergence d'une parole qui, même s'il en est source, finit hors de lui. [...]
[...] Dans le Rêve de d'Alembert, le contenu philosophique est beaucoup moins pragmatique même s'il est matérialiste. En effet, il redéfinit les bases d'une métaphysique sans Dieu, qui est congédié dès la première prise de parole de Diderot dans les Entretiens avec D'Alembert. Par la suite, se construit, dans le cadre de la réflexion matérialiste, une réinvention du concept d'homme. Reprenant les raisonnements atomistes, il l'inscrit dans le Grand-Tout ou le Tout-Un en faisant une figure fondamentalement identique à celle de l'animal ou même du végétal : Naitre, vivre et passer, c'est changer de formes dit d'Alembert, suggérant la parenté moléculaire de tout ce qui vit sur terre. [...]
[...] De plus, il fait appel à une réécriture synthétique au sein des trois textes : dans les Entretiens entre D'Alembert et Diderot est déroulé dans le discours tout le processus qui permet de passer de la matière inerte à la matière vivante ; dans les premières pages du Rêve de d'Alembert, ce discours est résumé en quelques mots par Mademoiselle de L'Espinasse (qui cite D'Alembert) : Rien d'abord, puis un point vivant A ce point vivant s'en applique un autre, encore un autre ; et par ces applications successives il en résulte un être un L'œuvre semble progresser suivant un raisonnement en escalier, marche à marche, tel qu'il a pu être utilisé par Descartes dans le Discours de la Méthode. Le contenu de cette philosophie se caractérise essentiellement par sa volonté d'être populaire c'est à dire dans ce cas d'être à l'usage du peuple (Petit Robert). En effet, au delà d'une réactualisation des valeurs de l'Antiquité, on peut lire dans nos œuvres la définition d'une philosophie plus bourgeoise, notamment dans le Fils Naturel. [...]
[...] L'image et le tableau sont donc des vecteurs d'enseignements de la même façon que dans la philosophie platonicienne les œuvres picturales étaient considérées comme nécessaires à l'éducation de l'enfant parce qu'elles facilitaient l'accès à l'abstraction et au raisonnement philosophique. Dans l'Entretien entre D'Alembert et Diderot, ce dernier, pour rendre compte du système nerveux humain fait appel à l'image de cordes vibrantes sensibles laquelle sera déroulée tout au long du dialogue. Les images sont donc très importantes dans nos textes parce qu'elles construisent un placere à partir duquel l'émotion et la pensée peuvent se développer. [...]
[...] Pourtant, cette forme littéraire était très répandue à l'époque : Helvétius, Rousseau et D'Holbadh y avaient souscrit. Cependant, souscrivant à une pensée que l'on peut qualifier de populaire notre auteur a choisi d'ancrer ses œuvres dans le moment de l'énonciation. Ce procédé lui permet ainsi d'incarner ses idées, de les faire correspondre à son époque et de les dégager d'un contexte philosophique strictement abstrait. L'anecdote est connue : Diderot avait pensé mettre en scène Démocrite, Hippocrate et Leucippe à la place de d'Alembert / Diderot, Bordeu et Mademoiselle de L'Espinasse. [...]
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