Acte II de Hamlet, Shakespeare, ils sont l'abrégé et la chronique du siècle, Eugène Ionesco, Notes et contre notes, fable théâtrale, Corneille, dramaturgie, temporalité, Laurent Brotum, chronique, illusion temporelle, critique de la société, inspiration historique, théâtre
Dans "Notes et contre-notes", Eugène Ionesco, célèbre dramaturge du XXe siècle, écrit ceci : "Vouloir être de son temps, c'est déjà être dépassé". C'est une réflexion intéressante qu'on peut considérer aussi bien comme réflexion d'individu que comme réflexion d'homme de théâtre en particulier. Le théâtre se doit d'entretenir avec le temps une relation, étant donné qu'il participe à une histoire - littéraire voire de civilisation - et cela dès sa naissance, mais aussi et surtout parce qu'au théâtre se déroule un moment de vie au sens fort du terme, et de ce fait il est nécessairement ancré dans le temps. Pour illustrer ce propos, on peut par exemple citer Hamlet qui dans l'acte II de la pièce éponyme de Shakespeare, présente des comédiens qui vont jouer une pantomime devant la cour de Danemark et dit à leur sujet : "They are the abstract and the brief chronicle of the time", c'est-à-dire "Ils sont l'abrégé et la chronique rapide du siècle".
Par cette phrase, Hamlet inscrit le théâtre - désigné métonymiquement à travers les comédiens - dans le temps, qui est doté de multiples visages : on voit apparaître le temps en tant qu'histoire à travers l'idée de "chronique du siècle", c'est-à-dire l'idée de récit d'événements marquants, d'une certaine évolution, ainsi que le temps en tant que durée impliquée dans le mot "siècle", le temps long en somme, un temps qui s'étire et qui poursuit un chemin jusqu'à être une période par exemple et enfin, comme on peut s'y attendre, le temps court, l'instant dans les mots "abrégé" et "rapide". Il s'agit, en étudiant le rapport avec ce temps à plusieurs facettes, de montrer dans quelle mesure le théâtre est une proposition de parade au problème annoncé dans la note d'Eugène Ionesco et le complexifie ; on peut résumer cette démarche en trois idées : le théâtre est tout d'abord un reflet de temporalité(s) ainsi qu'un jeu avec la continuité du temps et enfin déconstruit notre appréhension du temps.
[...] Il n'y a aucune indication de temps, pourtant on sent l'influence de l'histoire : il y a un cadre moderne sous-entendu indiqué par la définition d'une voix comme celle d'un dealer, personnage apparu récemment dans la société ; il y a aussi une récurrence de certains motifs rappelant l'esclavage, et donc une histoire sous-jacente, mais cette apparition du temps est incorporée par le spectateur dans la pièce. C'est à lui de faire entrer la pièce dans le temps, mais la pièce en elle-même ne l'est pas. [...]
[...] L'histoire est théâtrale, ces hauts faits sont nécessairement dramatiques, à plusieurs niveaux. Un évènement histoire majeur est un ancrage idéal pour le théâtre, car il est dramatique en son sens premier, en tant qu'il est dynamique, c'est un grand moment d'action, il est empli d'une « force qui va », il permet l'existence d'une fable, et implique l'exacerbation de tout ce qui accompagne la force de l'action, notamment les passions. On peut parler de l'une des pièces les plus connues de Corneille, Le Cid. [...]
[...] Personnage à contretemps, antichronologique – on pourrait d'ailleurs dire que là est la démesure, ce mortel est antichronologique, chose normalement réservée aux Dieux, les seuls à avoir vaincu Chronos – il est paradoxalement aussi l'un des personnages dans lequel l'être est le plus palpable. Dans la mise en scène d'Œdipe Roi par Gilles Pastor, on retrouve cet Œdipe qui bouscule les codes temporels dans le fait qu'il y ait trois Œdipe, un enfantin, un dans un âge bien plus avancé, et un presque perdu dans un rythme. Cela met en lumière la concordance entre l'aspect fragmenté du cycle du temps et l'aspect fragmenté de sa vie. [...]
[...] Leur présent prime sur celui de l'écriture, le nombre de temporalités s'agrandit. Il est ici intéressant de citer Jean Vilar, qui dans une note aux comédiens jouant sa mise en scène de Ruy Blas, leur dit : « Restez des interprètes ». L'acteur, en restant interprète, montre une certaine souplesse envers la pièce et lui-même qui fait ressortir sa personnalité, son temps. De ce fait, les comédiens par leur acte de jeu parviennent à détourner le problème de la note d'Eugène Ionesco : ils se veulent d'un autre temps, et c'est de cette manière qu'ils sont de leur temps, et pourtant sans être dépassé. [...]
[...] Eugène Ionesco parlerait probablement de « propagande ». Les Mains Sales est une pièce qui se déroule à la fin de la Seconde Guerre mondiale, écrite à la fin de la Seconde Guerre mondiale, représentée peu de temps après (en 1951). À ce moment, on est encore dans une crise, cette guerre énorme n'est terminée que depuis 2 ans, ainsi on peut imaginer qu'à cette époque le temps semble brouillé exactement comme dans Hamlet, bien plus que dans Hamlet. Et Sartre propose cette pièce qu'on dit à thèse. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture