Dans Vendémiaire, dernier poème d'Alcools, Apollinaire écrit : « Ecoutez mes chants d'universelle ivrognerie ». Entre ces « chants d'universelle ivrognerie » et le titre du recueil d'Alcools le rapprochement s'impose. L'alcool et l'ivresse apparaissent comme des thèmes primordiaux de la poésie apollinarienne.
Débordant le cadre de son contexte immédiat, le vers « Ecoutez mes chants d'universelle ivrognerie », correspond dans une certaine mesure à l'ensemble du recueil, et en éclaire la signification. Nous étudierons dans un premier temps comment l'ivrognerie irrigue tout Alcools en tant que matière mais aussi en tant que forme. Puis nous nous intéresserons à la manière dont le poète sublime l'ivrognerie commune (individuelle et un peu sordide) en ivrognerie grandiose, cosmique, « universelle ». Enfin, dans un troisième temps, nous verrons si la poésie d'Apollinaire n'a pas une autre facette plus sage, plus sobre et plus rationnelle qui permettrait de trouver une limite aux applications de ce vers dionysiaque de Vendémiaire.
[...] Conclusion Dans le vers Ecoutez mes chants d'universelle ivrognerie Apollinaire attire l'attention du lecteur sur le côté dionysiaque de son œuvre. Le pôle opposé n'est pas absent (maîtrise, sagesse) mais l'essentiel est bien l'élan d'une fusion panique[36] avec le cosmos. Tout l'univers se concentre dans un vin quasi sacré, tandis que le poète divinisé devient lui-même l'univers ; l'alcool ouvre les portes d'une connaissance qui est au-delà de la logique, et rejoint un mystère qui ne peut se dire[37], si ce n'est par le libre jeu d'un langage affranchi des règles de la raison, comme en témoignent les poèmes les plus hermétiques d'Alcools. [...]
[...] L'antéposition de l'adjectif universelle ivrognerie et non ivrognerie universelle permet de comprendre[5] que l'expression signifie bien plus que ivrognerie totale : l'ivrognerie qu'évoque Apollinaire est intrinsèquement, essentiellement universelle, comme si le moi avait absorbé le monde entier, s'était grisé de tout l'univers. Le choix du mot ivrognerie en lieu et place de ivresse est tout aussi remarquable. En effet, le mot ivrognerie exprime une continuité, une sorte de règle de vie. En général le mot est péjoratif, mais dans ce contexte, son utilisation provocatrice se charge paradoxalement d'une connotation positive. Débordant le cadre de son contexte immédiat, le vers Ecoutez mes chants d'universelle ivrognerie correspond dans une certaine mesure à l'ensemble du recueil, et en éclaire la signification. [...]
[...] Or, on retrouve précisément dans de nombreux poèmes d'Alcools des termes qui évoquent ces mouvements vains ou incontrôlés : Tremblant[13], grelottantes, vacillent[14], tremblent[15], tournaient, vomissaient, roulaient[16], trembleur, tombe, tremblant[17], trembler, tremblait[18], rouaient[19] On le voit, l'ivresse est un thème qui non seulement traverse l'ensemble du recueil, mais l'irrigue tout entier de manière plus ou moins cachée : même dans des poèmes qui n'évoquent pas l'ivresse, on retrouve des termes qui d'une manière ou d'une autre s'y rapportent. c. Discontinuité, désordre, incohérence Présente au niveau thématique, l'ivrognerie l'est aussi au niveau structurel. La forme même des poèmes d'Alcools est souvent perturbée, déréglée, discontinue autrement dit : ivre. Apollinaire a d'ailleurs composé certains de ses poèmes en collant ensemble des fragments de poèmes d'époques différentes. [...]
[...] La nostalgie de l'ordre et de la sagesse b. Références au savoir, à la connaissance c. Mais l'ivresse dionysiaque l'emporte Refrain : répétition d'un ou plusieurs mots, d'un ou plusieurs vers à la fin de chaque couplet d'une chanson. Chantre : chanteur ; par extension, poète. Lied : courte pièce de musique vocale chantée sur un texte en langue germanique. Poème (germanique) destiné à être chanté ou susceptible d'être chanté. [...]
[...] Ainsi, dans Le voyageur, on peut lire : Une nuit c'était la mer ( ) Traîneau d'un boucher régiment des rues sans nombre Cavalerie des ponts nuits livides de l'alcool (Le voyageur, p.53) Le présentatif et l'imparfait du premier vers suggèrent que la mer n'a existé que cette nuit-là ; les métaphores des deux vers suivants assimilent étrangement les rues à un régiment, et les ponts à une cavalerie. Mais cet illogisme recèle en fait une logique : le poète prend comme point de repère non la réalité objective, mais sa perception subjective. Du point de vue de celui qui regarde, la mer n'existe qu'au moment où elle est vue, et c'est le paysage (rues et ponts) qui défile comme un régiment ou une cavalerie lorsqu'on le traverse à vive allure. [...]
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