Dissertation ayant pour sujet : Jean Giraudoux a pu dire du théâtre : "C'est très simple, cela consiste à être réel dans l'irréel." Pensez-vous que cette affirmation puisse convenir à la fois à un certain théâtre et à d'autres genres littéraires ?
[...] Ces mots de la duchesse sont si irréels dans sa société choisie qu'ils provoquent ainsi un effet détonnant et aboutissent à faire de cette femme une personne qui échappe à la convention littéraire pour renvoyer à l'imprévisibilité du réel. Que l'on se soit beaucoup attaché à rechercher les modèles de Proust indique cet effet particulier produit sur le lecteur. L'irréel produit un effet de réel, là encore, par contrepoint, et tout cet art de Proust repose, comme dans l'entrevue avec Charlus, à la fin du même volume, sur ce singulier mélange. [...]
[...] Ce rapport de contrepoint n'épuise pas les possibilités de relation entre le réel et l'irréel. Lorsque Proust donne de la haute société l'image qui est la sienne dans Le Côté de Guermantes, il existe un effet de distance critique pour le narrateur, issu de la bourgeoisie, qui se faisait une merveille du salon si huppé de la duchesse. Le narrateur ne manque pas de souligner à quel point il s'étonne de voir si fort prisé et si fermé ce salon qui ne diffère pas des salons de la bourgeoisie. [...]
[...] Car si Silvia refuse de s'avouer son amour, c'est parce qu'elle prend Dorante pour un valet et ne peut s'imaginer lier son sort au sien sans déchoir. Si elle est l'héroïne de la pièce, c'est que seul son amour-propre ne cède pas : Dorante, en revanche, la demandera en mariage en la prenant pour une soubrette. L'art de Marivaux transcende ainsi, sans les rompre, ces barrières irréelles qu'impose la comédie italienne et ce dernier cadre aboutit à un mélange d'une extrême singularité, profondeur et transparence complète, réel et irréel. [...]
[...] Mais Le Jeu de l'amour et du hasard permet, dans des situations convenues, de faire jaillir une intelligence du réel dans ce sujet rebattu qu'est l'amour. Lorsque Silvia se sent prise d'amour pour Dorante, son attitude face à Lisette puis à son père et à son frère reflète une authenticité psychologique amoureuse qui, sans caractériser la jeune première de manière singulière, relève d'une vérité de l'amour. Le feu des répliques de Silvia lorsque l'on touche à Bourguignon qui n'est que Dorante déguisé, sa susceptibilité excessive, sa nervosité, tout la révèle sans qu'elle ait dit mot de son amour et nul ne s'y trompe : J'ai donc besoin qu'on me défende, qu'on me justifie ? [...]
[...] Dans un sens inversé, la situation se retrouve dans le René de Chateaubriand. René est un récit irréel à la fois dans l'enchaînement de ses événements et dans la psychologie du personnage lui-même. L'inceste n'a aucune valeur psychologique et ne fonctionne que comme ressort unique d'un récit qui en est par ailleurs particulièrement dépourvu ; les attitudes successives de René ne relèvent pas plus d'une authenticité intérieure ou même dramatique. Mais cet ensemble d'irréalité n'en renvoie pas moins à une vérité de la génération romantique, éprise, dans un élan dont Flaubert dénonce le factice, de nature, d'absolu, de vents ébouriffants, de solitude. [...]
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