Lorsque l'on évoque le théâtre, la plupart des personnes s'imaginent immédiatement une ambiance particulière et propre au genre, de grands décors, des costumes flamboyants. L'étymologie grecque du mot même, theatron, « l'enceinte destinée au public », confirme cette vision. Et pourtant, leur expérience de spectateur est beaucoup plus réduite que leur vécu de lecteur. Ce phénomène s'explique pour une raison matérielle évidente : l'écrit est un vecteur de diffusion bien plus large que la simple représentation théâtrale, qui ne draine que quelques centaines de spectateurs. Le propos de Gilles Aillaud va plus loin encore : selon lui certaines pièces ne seraient même pas à « représenter mais [uniquement] à lire ». Mais parle-t-il en tant que scénographe, confronté à la difficulté matérielle de mettre en place les décors de certaines scènes ou envisage-t-il qu'un auteur puisse écrire une pièce de théâtre qui ne soit pas destinée à être représentée ?
Ou plus généralement, l'essence même du théâtre est-elle d'être vue ou d'être lue ?
Nous verrons d'abord pourquoi une pièce de théâtre peut être immédiatement associée à la représentation. Puis nous nuancerons cette étude en examinant les arguments en faveur de la lecture seule d'une œuvre théâtrale. Cependant, nous verrons, dans une troisième partie, que les relations entre représentation et lecture sont souvent complexes et indissociables.
[...] Lecture et représentation sont donc inévitablement complémentaires. [...]
[...] Chacun rit pour les mêmes blagues, le fait seul d'avoir décidé de venir assister à cette pièce-ci suffit aux spectateurs à se trouver des affinités, à se sentir bien au milieu de ces gens qu'ils ne connaissaient pas quelques minutes auparavant et qu'ils ne rencontreront jamais plus sans doute. Enfin, représenter c'est renouveler sans cesse une même pièce, la faire redécouvrir au public, selon la sensibilité à chaque fois singulière du metteur en scène. Cette définition de la représentation implique une évolution constante du théâtre et de sa mise en scène. [...]
[...] Peter Brook, ancien metteur en scène, homme de théâtre remarqué, ira même jusqu'à écrire que Répétitions, représentation et assistance résument les trois éléments indispensables pour que l'événement théâtral prenne vie Mais cette affirmation s'applique-t-elle réellement à toutes les pièces ? Ne peut-elle pas être nuancée ? Selon Gilles Aillaud, certaines pièces ne sont pas à représenter mais à lire parce qu'elles ne sont pas assez théâtrales comme par exemple Bérénice de Racine. Un tel discours, venant d'un homme chargé lui-même de la scénographie, peut-il être justifié ? [...]
[...] Or si les œuvres théâtrales sont publiées, c'est qu'elles sont forcément destinées à la lecture. Le cinéma, qui est un art totalement visuel, ne se donne, par exemple, pas la peine de publier ses scénarios ; le visionnage seul du film suffit au spectateur, et personne depuis sa création 1895 n'a encore remis en cause cette pauvreté Lire, c'est déchiffrer dans la linéarité, mais surtout c'est mettre en relation des faits, une époque, des commentaires, prendre le temps de s'arrêter pour analyser, réfléchir, s'interroger. [...]
[...] Or il est connu et reste une référence de nos jours pour la majorité d'entre nous. On peut expliquer ce phénomène, cette relation sans borne à travers les époques, de deux manières. Soit les spectateurs, après avoir vu ses pièces, jouées admirablement bien par certaines troupes, ont été pris par l'envie de les lire, et ont ainsi découvert véritablement son style, sa personnalité en lisant par delà le texte, soit ses lecteurs, déjà fortement attachés à l'habileté dont il fait preuve pour l'écriture de son art, sont allés au théâtre pour parfaire leur vision de la pièce. [...]
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