Gargantua, ou l'aventure d'un géant du langage : tel aurait pu être le sous-titre du premier volet dans l'ordre de la narration de la geste gargantuine. Hypothèse issue d'un fantasme de lecteur décidé à trouver autre chose que la geste gigantale dans ce roman ? Ou intuition justifiée qui tendrait à exprimer le sentiment qu'au-delà du gigantisme de la fiction et des personnages se cacherait une source vive : la langue de Rabelais, son verbe. Dans son ouvrage intitulé Les langages de Rabelais, François RIGOLOT creuse cette question qui semble réellement centrale dans l'oeuvre de Rabelais (...)
[...] L'étrangeté de la langue de Rabelais était déjà ressentie par le lecteur contemporain et ne tient donc pas à la conjoncture historique. Rabelais invente une parole singulière dans sa propre langue : de ce fait, dans la même perspective que Proust quand il affirmait que les grands écrivains écrivent comme dans une langue étrangère Rabelais pourrait être qualifié d'écrivain bilingue dans la mesure où il impose un style. Et c'est semble t-il, ce style si particulier que la fiction gigantale permet d'introduire : une parole intrigante s'installe de manière fluide aux côtés des géants, de leurs balourdises notamment humoristiques et loufoqueries pensons par exemple à l'épisode des six pèlerins mangés en salade ! [...]
[...] Par exemple, le discours de Janotus de Bragmardo pour demandé le retour des cloches est complètement dédramatisé dans la mesure où celle-ci ont déjà été rendues en secret : il fut convenu, que d'avant que le Sophiste eut proposé sa Commission, l'on délivrerait les cloches Ainsi, le propos fonctionne à vide et se contente de nous parler du personnage qui le dit, et de mettre en scène sa manière de discourir. Par ailleurs, on peut voir que le cadre gigantal est aussi un support à la prise de parole : il permet de penser mais surtout de dire les excès à travers ses personnages. Le gigantisme vient aussi incarner et par là même dénoncer les excès verbaux et dogmatiques des hommes dont les géants sont les images. [...]
[...] Enfin, la parole créée par Rabelais ne semble pas fonctionner de manière autonome par rapport à la fiction dans la mesure où elle en donne un mode de lecture. En effet, le langage tel qu'il a été décrit comme formulant les ambiguïtés, semble donner des axes de lecture à son lecteur. Une dimension réflexive de la parole sur la fiction et sur le livre pourrait de ce fait être mise à jour. Comme nous l'avons déjà mentionné, le premier acte de parole du géant est celui d'inviter tout le monde à boire faisant ainsi allusion au Pantagruelisme qui serait peut être un moyen d'appréhender le livre et les excès du langage. [...]
[...] Janotus de Bragmardo est bien une incarnation de la parole scolastique. Son nom nous donne de front une indication sur ce qui va suivre : alors que Janotus est un prénom populaire affublé d'un suffixe vaguement latinisant Bragmardo pulvérise le crédit que l'on pourrait accorder à ce personnage et introduit son discours en bonne et due forme. Ainsi, on pourrait dire que l'onomastique de la fiction fonctionne comme une porte d'entrée à la parole des personnages. A l'inverse, c'est bien le langage qui définit les personnages : la plupart d'entre eux n'existent qu'à travers leur parole et la manière dont ils la profèrent. [...]
[...] Ainsi, on peut dire que la parole que créé Rabelais est une parole en liberté qui ne cesse de questionner. Celle-ci apparaît ainsi peut être comme une nouvelle manière de poser des problèmes irrésolus et de les penser dans leurs contradictions. Mais peut-on réellement considérer le cadre gigantal comme un simple tremplin ? Ne pourrions-nous pas plutôt envisager une étroite corrélation de la fiction et du langage dans cette recherche de nouvelles manières de signifier ? Gargantua n'est pas une œuvre qui se laisse réduire à une seule perspective. [...]
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