Au mois d'octobre 1763, sort à Venise le premier numéro du journal « La Frusta letteraria , di Aristarco Scannabue » (Le fouet littéraire d'Aristarque Egorgeboeuf). L'auteur est Giuseppe Baretti, homme de lettres turinois qui a déjà fait parler de lui à cause de son esprit polémique et de sa plume acérée. Son journal au titre suggestif devait paraître régulièrement le premier et le quinze de chaque mois. A cet effet, dès le mois de juillet 1763, il avait envoyé aux Réformateurs des Etudes de Padoue une supplique qui exposait son projet et demandait l'autorisation de la réaliser. Le 2 août cette autorisation avait été accordée, si bien que le 10 septembre 1763 le manifeste volant du journal était mis en circulation. Quelques jours plus tard, le public avait entre les mains le « Fouet » de Baretti.
Depuis son Introduction aux lecteurs, l'auteur énonce son programme :
« Ce fléau de mauvais livres que, depuis maintes et maintes années, l'on imprime quotidiennement dans toutes les contrées de notre Italie, le mauvais goût dont ils l'emplissent et les mauvaises mœurs qu'ils y répandent, ont fini par échauffer tellement la bile d'un honnête homme studieux et méditatif, qu'il s'est tout de même résolu à faire à un âge désormais trop avancé ce qu'il n'a jamais eu envie de faire durant ces années juvéniles et viriles, c'est-à-dire qu'il s'est résolu à se munir d'un bon Fouet métaphorique et d'assener de grands coups à ces modernes sots et misérables qui griffonnent continuellement des comédies impures, des tragédies stupides, des critiques puériles, des romans saugrenus, des dissertations frivoles, toutes sortes d'ouvrages de prose et de poésie, qui ne renferment pas le moindre suc, la moindre substance, la moindre qualité susceptible de les rendre agréables ou utiles aux lecteurs et à la patrie » .
L'intention de l'auteur est claire: sa plume va reprendre son élan polémique contre les « modernes », c'est-à-dire les écrivains et les savants italiens qui font toujours partie de son milieu maintenant qu'il est rentré en Italie, pour y rester, depuis dix ans passés en Angleterre à travailler comme homme de lettres de profession.
[...] Termes ironiques utilisés par les détracteurs de l'académie de la Crusca pour désigner ses adhérents. Pietro Bembo (1470-1547) est l'auteur des Prose della volgar lingua (1525) une des majeures tentatives de définir ce que doit être la langue italienne volgare. Cf. Benedetto Croce, L'Arcadia e la poesia del Settecento, in La letteratura italiana del Settecento, note critiche, Bari, Laterza pp. 1-14. Selon l'allocution célèbre de Cesare Beccaria : Qui vous a dit que les mots correspondent aux idées et non l'inverse ? [...]
[...] Sur cette toile de fond, s'inscrivent les jalousies et les actions retorses de Giuseppe Baretti contre Pietro Verri, ou le comte comme il aimait l'appeler dans La Frusta. Tout remonte à la publication des almanachs Il Mal di Milza[66] et le Grand Zoroastre de Pietro Verri, et de son premier ouvrage économique, les Considerazioni sul commercio dello Stato di Milano[67] où le philosophe milanais expose ses théories économiques mercantilistes et proches des physiocrates, la nécessité des réformes en Lombardie, l'urgence de renouveler la classe dirigeante de l'Etat et son organisation. [...]
[...] Et si un écrivain, Beccaria, avait osé suivre Montesquieu et reprendre le problème des rapports entre les délits et les peines[28], l'Italie toute entière avait paru se soulever contre lui. Le cartésianisme et les idées innées maintenaient leur emprise sur les esprits italiens, alors qu'ailleurs dans le monde, tous voyaient désormais par les yeux de Locke et de Condillac. Les académies continuaient à être purement littéraires, alors que dans toute l'Europe, elles s'occupaient désormais de physique et de sciences exactes. Non qu'il n'y eut, sur ce dernier point, quelques exceptions, par exemple Bologne et son Institut[29], ou Turin avec le groupe rassemblé autour de Lagrange. [...]
[...] En 1743, Giovanni Maria Bicetti, homme de lettres ami de Baretti, refonde l'institution et lui donne une connotation essentiellement littéraire. Parmi les académiciens de la première heure, aussi un jeune Pietro Verri, et, ensuite, Giuseppe Parini. Cf. Giuseppe Petronio, Fra i Trasformati, in Parini e l'Illuminismo lombardo, Bari, Laterza pp. 17-28. Académie littéraire vénitienne, fondée en 1747 par Gasparo Gozzi, écrivain, critique, journaliste et responsable, de 1760 à 1761, du périodique La Gazzetta veneta et, jusqu'à 1762, de l'hebdomadaire L'Osservatore veneto. [...]
[...] Mais Baretti fait partie du mouvement de l'Illuminismo italien et même si son Fouet se veut un périodique littéraire, les sujets traités concernent la philosophie, la politique et les autres champs du savoir contemporain. Les polémiques célèbres de Baretti contre les ouvrages des mauvais écrivains de son temps s'insèrent dans les échanges vifs et les querelles culturelles qui font la particularité du milieu savant de l'Italie de la seconde moitié du XVIIIe siècle. La guerre de tous contre tous En Italie, on peut parler des Lumières dans les années soixante du siècle. En fait, avant cette date, on ne peut parler que de pré - illuminisme, une période de gestation des idées nouvelles. [...]
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