« Il existe, dans le roman, une exigence perpétuelle de représentation et de réflexion, qui repose sur la prédisposition de l'artiste à décomposer les différents instants de notre personnalité et à en cueillir les contradictions. L'écrivain atteint cet objectif en présentant la précarité substantielle de la réalité ».
C'est ainsi que l'écrivain italien, Luigi Pirandello, présente son idée de roman. Dans la Préface de "Un, personne, cent mille" (1926), il identifie dans le roman une nécessité de contradiction; celui-ci se sublimerait uniquement dans le cas où le talent de l'écrivain à souligner les contradictions de la réalité se réalisait, les présentant dans son œuvre. Un lien étroit entre les contradictions de la vie et l'essence du roman est ainsi créé.
L'analyse des caractéristiques du roman et l'identification des contradictions qui lui sont inhérentes sont reprises en 1933 par François Mauriac dans Le Romancier et ses personnages où il affirme :
« Je ne crois pas qu'aucun artiste réussisse jamais à surmonter la contradiction qui est inhérente à l'art du roman. D'une part, il a la prétention d'être la science de l'homme, - de l'homme, monde fourmillant qui dure et qui s'écoule, - et il ne sait qu'isoler de ce fourmillement et que fixer sous sa lentille une passion, une vertu, un vice qu'il amplifie démesurément. D'autre part, le roman a la prétention de nous peindre la vie sociale, et il n'atteint jamais que des individus après avoir coupé la plupart des racines qui les rattachent au groupe. En un mot, dans l'individu, le romancier isole et immobilise une passion, et dans le groupe il isole et immobilise un individu. Et, ce faisant, on peut dire que ce peintre de la vie exprime le contraire de ce qu'est la vie : l'art du romancier est une faillite. »
[...] Effectivement le roman naturaliste et celui réaliste ont comme objectifs déclarés de représenter de façon la plus objective et vraisemblable et possible la réalité. Avoir la prétention d'être la science de l'homme et finir par se concentrer sur les passions individuelles et prétendre être un peintre de la société et se réfugier dans la présentation des individus constitue un échec de taille pour ce genre de roman. Mais il devient légitime de se demander si ceci est le seul critère de réussite d'un roman. [...]
[...] Mais résumer l'art romanesque à la présentation de la vie comme elle l'est ne priverait peut-être pas le genre plus imaginatif de son élément spéculaire ? Le jugement de François Mauriac vise la contradiction inhérente au roman. Son analyse a permis de voir comment dans les romans réalistes et naturalistes cette contradiction non seulement se vérifie mais empêche l'écrivain d'atteindre une sorte de divinité qui aurait donné à son œuvre un caractère tout à fait autonome. Tout de même l'idée de Mauriac ne s'est révélée applicable que partiellement En effet une certaine littérature fantastique, grotesque et hédonistique lui échappe. [...]
[...] Dans Louis Lambert (1832), Balzac présente ainsi le protagoniste: A l'âge de douze ans, son imagination, stimulée par le perpétuel exercice de ses facultés, s'était développé au point de lui permettre d'avoir des notions si exactes sur les choses qu'il percevait par la lecture seulement, que l'image imprimée dans son âme n'en eût pas été plus vive s'il les avait réellement vues». Louis Lambert est tellement obsédé par l'intelligence que son imagination représente mieux ce qu'il a lu que ce qu'il a vu; le personnage est complètement esclave de sa passion principale que Balzac a décidé d'exagérer démesurément. Le protagoniste est complètement plongé dans son être romanesque. [...]
[...] Le propos de l'auteur, comme brièvement anticipé, s'articule en deux parties. Dans la première partie Mauriac souligne la contradiction qui est selon lui omniprésente dans l'art romanesque et qu'aucun écrivain n'arrive jamais à dépasser. Son argumentation présente, à son tour, deux éléments, reliés d'un balancement. Il accuse en un premier temps le roman d'avoir la prétention d'être la science de l'homme. On retrouve largement cette conception dans Le Roman Expérimental (1880) où Zola affirme En revenant au roman, nous voyons également que le romancier est fait d'un observateur et d'un expérimentateur. [...]
[...] L'aspect visé par Mauriac est ici tout à fait présent. La première partie de la contradiction trouve donc tout son fondement dans la littérature réaliste et naturaliste. Le deuxième terme de la contradiction concerne la prétention du roman de vouloir peindre la vie sociale. L'Avant-propos de 1842 à la Comédie Humaine souligne parfaitement ce désir: la Société française allait être l'historien, je ne devais être que le secrétaire. En dressant l'inventaire des vices et des vertus, en rassemblant les différentes passions ( ) peut- être pouvais-je arriver à écrire l'histoire oubliée par tant d'historiens, celle des mœurs. [...]
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