Le dialogue dans Un cœur simple n'occupe pas une place prééminente. Le personnage principal, la servante Félicité, est d'une grande solitude morale. Sa parole se caractérise par le mimétisme, la répétition, que symbolisera le perroquet à la fin du conte. Manquent les interlocuteurs favorables, la singularité de la parole, qui permettent normalement le dialogue dans un texte narratif. Cependant, l'extrait que l'on va commenter renvoie à une époque qui précède celle où Félicité est la servante taciturne de Madame Aubain. Ici, le dialogue est rendu possible par la rencontre avec le personnage de Théodore. C'est le seul moment où Félicité rencontre un personnage sur le même plan qu'elle, avec lequel elle puisse communiquer. Mais la nature même de cette brève relation, relation amoureuse, rend le dialogue très partiel, implicite et fragmentaire.
[...] La réponse de Félicité est particulièrement subtile, c'est le point culminant du dialogue : elle reprit, en souriant, que c'était mal de se moquer Il faut analyser cette phrase à plusieurs niveaux. Formellement, il s'agit d'une phrase assertive, à portée générale, morale en l'occurrence : c'est mal de se moquer ».Comme acte de langage, par rapport à la situation d'énonciation, il ne s'agit pas d'une simple assertion, mais d'un acte de langage particulier : le reproche. Mais à un troisième niveau d'analyse, on peut dire qu'il s'agit d'un faux reproche, comme en témoigne le signe para verbal qu'indique la phrase introductive : en souriant et le fait que Félicité ne répond pas là au sens littéral de la question si elle pensait au mariage mais à la proposition implicite qu'elle recouvre par prudence. [...]
[...] Plus loin, au moment de la rupture avec Théodore, sa voix évoque un affect violent, presque animal : elle se jeta par terre, poussa des cris, appela le bon Dieu, et gémit toute seule dans la campagne jusqu'au soleil levant Au milieu des cris et des gémissements, la seule parole articulée est appela le bon dieu qui préfigure la sublimation du malheur au moyen d'une foi profonde et instinctive. Ce passage présente aussi un moment privilégié où un vrai dialogue, quoique bref, est rendu possible. Le dialogue avec Théodore se répartit sur plusieurs rencontres. [...]
[...] Mais la nature même de cette brève relation, relation amoureuse, rend le dialogue très partiel, implicite et fragmentaire. Nous verrons d'abord comment Félicité passe d'une parole à peine articulée à un moment privilégié où existe un vrai dialogue, puis nous étudierons la manière dont la parole des personnages est fondue dans le récit. La parole de Félicité apparaît le plus souvent comme purement expressive, à peine articulée, en deçà du langage bien codifié des échanges sociaux et intellectuels ; plus animal qu'humaine donc : Félicité est bête au sens neutre (non injurieux) d'inintelligente, d'animale. [...]
[...] Ici, il n'y a pas de discours direct. On a successivement discours indirect il lui apprit que style indirect libre pour se garantir de la conscription, Théodore avait épousé et discours narrativisé elle poussa des cris, appela le bon Dieu On peut comprendre cette absence de discours direct, conjuguée à une forte dramatisation le moment arrivé, elle courut vers l'amoureux comme l'expression tragique d'une fatalité, qui conduit Félicité à son destin de servante déjà évoqué dans le premier chapitre. De plus, les paroles des personnages sont véritablement fondues dans le flux narratif, du fait que le narrateur assimile ces paroles, pour faire son récit du point de vue des personnages. [...]
[...] La structure temporelle du texte permet également ces dialogues, au point de vue à la fois de la vitesse et de la fréquence (au sens narratologique de ces termes) : le récit ralentit et s'arrête sur des jours et des instants particuliers un soir d'août un autre soir la semaine suivante dimanche prochain à 11h et minuit Le récit singularité au passé simple prend le pas sur le récit itératif (répété) à l'imparfait (contrairement au chapitre Les paroles des personnages sont insérées dans le flux narratif, également par l'emploi échelonné des différentes formes de discours rapporté. Le discours narrativisé, le style indirect libre, le discours indirect et le discours direct sont employés à tour de rôle pour insérer, mettre en relief le dialogue sans interrompre le flux narratif. [...]
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