Un an avant l'indépendance officielle de la Tunisie, l'écrivain Albert Memmi publie Agar, récit du mariage voué à l'échec d'une Française d'origine catholique et d'un Tunisien d'origine juive. Trois ans auparavant était publié Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon, essai de compréhension du rapport Noir-Blanc dans les colonies françaises des Antilles. Fanon et Memmi tendent à assumer un même universalisme: l'essai de l'un vise tout homme colonisé, tandis que le roman de l'autre pose le problème de la cohabitation pacifique des groupements humains. Si la forme littéraire privilégiée par Memmi lui impose une pluralité de voix et donc d'interprétations, l'essayiste Fanon n'hésite pas à trancher:« seule une interprétation psychanalytique du problème noir peut révéler les anomalies affectives responsables de l'édifice complexuel.» Il s'agit donc de détruire par l'analyse le complexe d'infériorité qui caractérise le rapport Noir-Blanc. Fanon définit le peuple colonisé comme celui « au sein duquel a pris naissance un complexe d'infériorité, du fait de la mise au tombeau de l'originalité culturelle locale». Sa grille d'analyse devrait donc permettre de dépister un tel complexe chez le héros d'Agar, œuvre par laquelle l'auteur entend dévoiler « les conditions négatives de la double réussite [du mariage mixte et de la fraternité entre les peuples]»
[...] Guex décrit cependant cette névrose de façon beaucoup plus complexe et qui ne se résume pas à une liste de symptômes : Chez le sujet du type négatif agressif, l'obsession du passé, avec ses frustrations, ses vides, ses échecs, paralyse l'élan vers la vie. Généralement plus introverti que le positif aimant, il a tendance à ressasser ses déceptions passées et présentes, développant en lui une zone plus ou moins secrète de pensées et de ressentiments amers et désabusés, qui constitue souvent une sorte d'autisme. Mais contrairement à l'autiste véritable, l'abandonnique a conscience de cette zone secrète qu'il cultive et défend contre toute intrusion. [...]
[...] Dans les deux cas, cette originalité est extorquée par le Blanc. Fanon cite Sartre pour qui la revendication de la négritude n'est qu'un terme dans la dialectique : La négritude apparaît comme le temps faible d'une progression dialectique : l'affirmation théorique et pratique de la suprématie du Blanc est la thèse; la position de la négritude comme valeur antithétique est le moment de la négativité. Mais ce moment négatif n'a pas de suffisance par lui-même et les Noirs qui en usent le savent fort bien; ils savent qu'il vise à préparer la synthèse ou réalisation de l'humain dans une société sans races. [...]
[...] Aussi l'absence de valorisation et, partant, de sécurité affective est chez lui presque complète; de là un très fort sentiment d'impuissance en face de la vie et des êtres, et le rejet total du sentiment de la responsabilité. Les autres l'ont trahi et frustré, et c'est pourtant des autres seuls qu'il attend une amélioration de son sort.[10] Le héros d'Agar correspond-il réellement à cette description de l'abandonnique? Sa solitude n'est-elle pas encouragée par sa femme qui choisit la banlieue pour s'éloigner de la famille de son mari et qui finit par refuser d'accueillir chez elle parents et amis du héros? Et cette solitude fait-elle de lui un introverti, voire un autiste? [...]
[...] "Fanon et Memmi: Le masque blanc du héros d'Agar" Un an avant l'indépendance officielle de la Tunisie, l'écrivain Albert Memmi publie Agar, récit du mariage voué à l'échec d'une Française d'origine catholique et d'un Tunisien d'origine juive. Trois ans auparavant était publié Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon, essai de compréhension du rapport Noir-Blanc dans les colonies françaises des Antilles. Fanon et Memmi tendent à assumer un même universalisme : l'essai de l'un vise tout homme colonisé, tandis que le roman de l'autre pose le problème de la cohabitation pacifique des groupements humains. [...]
[...] Et je l'aurais peut-être fait si, en la tuant, j'avais anéanti cette image de moi-même qu'elle me présentait et où je me reconnaissais, ce masque qui m'enserrait la figure comme une pieuvre.[30] On peut donc dépister par l'interprétation psychanalytique un complexe d'infériorité chez le héros d'Agar. Angoissé, agressif, non-valorisé, celui-ci est en quelque sorte un autiste conscient, dans la mesure où, consciemment, il rapporte tout à lui-même, se déresponsabilise et se montre incapable de choisir en attendant une aide extérieur. Ce complexe est le résultat d'une domination économique intériorisée notamment par le langage et la couleur de la peau. En fixant à la culture locale une essence qu'il lui attribue, le colonisateur blanc nie l'existence du peuple colonisé. [...]
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