Fables, La Fontaine, Le Loup et l'Agneau, Le Chat et un Vieux Rat, Le Lion le Loup et le Renard, Le Coq et le Renard, littérature, HLP Humanités Littérature Philosophie, famine, faim, prédation, symbolisme, relations sociales, critique de la société, mort, morale humaine
Les Fables de Jean de La Fontaine présentent, sous leur univers animalier distrayant, une vision philosophique du fabuliste sur l'humain et la société. Les relations sociales vues par La Fontaine y sont illustrées par des rapports de force entre les animaux puisque la plupart des fables mettent exclusivement en scène ceux-ci (les fables portant sur hommes et animaux, avec des rapports strictement humains ou portant sur la mythologie ou encore les végétaux, restent minoritaires).
Or, le rapport majeur entre les animaux est lié à la dévoration et à la prédation, à la volonté des prédateurs (dont nous verrons que la position peut être amenée à changer) de manger leur proie au terme d'une stratégie ou d'un rapport de force et d'une mise à mort donnant souvent lieu à l'euphémisme et au hors-champ dont le récit de la fable relate succinctement le déroulement souvent implacable, même si des surprises existent.
[...] Mais, lorsque le prédateur animal fait ainsi mea culpa sur sa nature, c'est l'exemple de l'homme lui-même, des bergers qui mettent à la broche leurs propres agneaux, qui va le ramener à la dévoration (et même à une plus grande encore que celle qu'il pratiquait antérieurement) : « Oh, oh, dit-il, je me reproche / Le sang de cette gent. Voilà ses gardiens / S'en repaissant, eux et leurs chiens ; / Et moi, Loup, j'en ferai scrupule ? » 25-28). [...]
[...] La ruse est la condition de la survie face à la prédation et La Fontaine invite son lecteur à ne pas prendre pour argent comptant les masques et les discours. S'il n'existe pas de parade absolue, la moralité renvoie à une voie possible pour éviter la dévoration et donc les désirs et pulsions dissimulées d'autrui : « [ . ] la méfiance / Est mère de la sûreté » (III, XVIII, 52-53). En fin de compte, l'univers impitoyable de la faim dans les Fables de La Fontaine correspond tout autant à une réalité sociale des lecteurs du XVIIème siècle qu'à une illustration des désirs de pouvoir des puissants du temps qui, comme le Loup, ne songent qu'à donner des masques de justice à leur désir égoïste. [...]
[...] En d'autres termes, l'idéal de justice ne peut être poussé trop loin et le Loup ne doit pas plus se l'appliquer que l'Agneau trop y croire. Néanmoins, le déterminisme de la dévoration, loin d'être univoque et unilatéral, est nuancé chez La Fontaine par la dynamique de la circularité. Comme le rappelle Patrick Dandrey, dans les Fables de La Fontaine « tout mangeur a vocation à être mangé ». On pourrait en effet penser que la hiérarchie des animaux, avec d'une part des prédateurs et de l'autre des proies, dont le type même est Le Loup et l'Agneau constitue une fatalité incontournable et que les proies dévorées seront toujours les mêmes. [...]
[...] La lucidité de La Fontaine est profonde puisqu'il met à distance les formes sociales d'une justice prétendue pour mettre à jour la réalité profonde du désir de pouvoir et de dévoration des aristocrates comme le Loup. La philosophie politique de La Fontaine est sans nuance : la société, la sphère politique, la loi ne sont que des paravents derrière lesquels s'abritent les puissants et qu'ils n'ont même pas besoin d'adopter pleinement puisqu'en dépit des raisons objectivement valables de l'Agneau (il n'a pu troubler l'eau puisqu'il buvait en aval, il n'a pu médire puisqu'il n'était pas né, il n'a pas non plus de frère qui aurait pu commettre cette insulte), le Loup le condamne. [...]
[...] Mais l'univers de la Fontaine n'est cependant pas si déterministe et fataliste que pourrait le laisser croire cette application aux hommes des lois naturelles de la prédation. Les prédateurs peuvent devenir des proies et cette circularité rétablit des équilibres et invite peut-être à une modération. En outre, face à l'hypocrisie sociale, au détournement de l'éloquence et du langage à des fins de tromperie, le fabuliste offre, dans plusieurs fables des contrepouvoirs au lecteur en l'espèce de la ruse. La raison et la sagesse font que tous les faibles ne sont pas condamnés au sort impitoyable du naïf Agneau ou à celui des naïves souris qui ont cru que le Chat avait été pendu en châtiment d'un « larcin de rôt, ou de fromage, / Égratigné quelqu'un, causé quelque dommage, /Enfin qu'on a pendu le mauvais garnement » (III, XVIII, 18-21). [...]
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