Dans un milieu littéraire bourgeois dominé par les hommes, les écrivaines ont à travers les époques été marginalisées, dépréciées et exclues du canon traditionnel, sous le joug d'une dépendance à la fois spirituelle et économique. Contraintes de publier anonymement, à l'instar de Madame de La Fayette pour son roman historique La Princesse de Clèves, ou sous des pseudonymes, tel George Sand dont le vrai nom était Amantine Dupin, les femmes ont ainsi été victimes de sous-représentation dans le monde littéraire. Cependant, dès le XIXe siècle et particulièrement au XXe siècle, un mouvement de revalorisation et d'essor de l'écriture féminine a vu le jour.
Afin de mieux appréhender cette écriture féminine de l'autobiographie, nous analyserons les œuvres autobiographiques majeures d'écrivaines françaises du XXe siècle, en nous attachant plus particulièrement à l'étude de La Maison de Claudine de Colette (1961), Les armoires vides d'Annie Ernaux (1974), Enfance de Nathalie Sarraute (1983), et L'Amant de Marguerite Duras (1984).
[...] De ce fait, les relations familiales, et particulièrement la relation de la mère à sa fille, occupent une place prédominante dans les autobiographies écrites par des femmes. La Maison représente ainsi un lieu particulier puisqu'elle est synonyme de chaleur accueillante, de tendresse et de sensualité. Chez Colette, la relation de l'enfant à sa mère est centrale. La figure maternelle est représentée par le personnage emblématique et omniprésent de Sido, qui vit un rapport privilégié très harmonieux avec sa fille. Mère protectrice et aimante comparée à une mère chienne trop tendre (p. et peu conventionnelle pour une femme de son temps, son influence est immense sur Colette. [...]
[...] Baisée de tous les côtés Elle décrit son corps à l'aide d'adjectifs péjoratifs tels pourri bousillé qui représentent sa répulsion pour ce corps dont elle a honte. Pourtant, lorsque Ernaux relate ses premiers émois amoureux, notamment avec sa petite proie froide et rousse (p. 133) et sa découverte du plaisir sexuel, son ton se fait plus doux. C'est donc ça un garçon ? se demande- t-elle en concluant Ça ne fait pas un pli, je suis heureuse et Je me sentais toute neuve On retrouve ici le plaisir de la transgression de Duras. [...]
[...] En effet, la narratrice vit à quinze ans une aventure érotique avec un Chinois milliardaire plus âgé qu'elle et découvre son corps, grâce à l'initiation sexuelle que lui offre son amant Elle en tire un plaisir physique immense, une jouissance à en mourir Cette expérience de sexualité et d'amour, bien que considérée comme de la prostitution par le monde qui l'entoure, la libère de ses liens familiaux en lui permettant de se créer son propre univers, loin des folies de sa mère et de la haine de son grand frère : Dès qu'elle a pénétré dans l'auto noire, elle l'a su, elle est à l'écart de cette famille pour la première fois et pour toujours Ce lien particulier entre la femme et son corps est mis en valeur dans Parole de femme, un essai publié en 1974 par la féministe française Annie Leclerc où elle proclame : Vivre est heureux. Voir et sentir le sang tendre et chaud qui coule de soi, qui coule de source, une fois par mois est heureux. Être ce vagin . Bouche amoureuse de la chair de l'autre. Être ce vagin est heureux. Ici, le rapport au corps féminin est aussi source de bonheur et de jouissance. Toutefois, chez Ernaux, le rapport au corps féminin est vécu comme douloureux et aliénant, à travers le thème de l'avortement qui encadre le récit. [...]
[...] Il s'agit alors d'une transgression du pacte autobiographique Ainsi, le chapitre La petite dans Les Armoires vides est entièrement à la troisième personne du singulier, ce qui permet un changement de perspective. De même, Marguerite Duras utilise ce même procédé, notamment lors de scènes avec son Amant, en introduisant une distance entre la jeune fille d'alors et l'écrivaine d'aujourd'hui. Il est donc clair que ces autobiographies écrites par des femmes sont peu conventionnelles, et s'éloignent du canon littéraire masculin bourgeois en se concentrant sur une expérience vécue, faite de sentiments et d'émotions, et ne cherchant pas à s'intéresser à l'extraordinaire. [...]
[...] Duras affirme paradoxalement au début de son autobiographie : L'histoire de ma vie n'existe pas. Ça n'existe pas. Il n'y a pas de centre. Pas de chemin, pas de ligne Il ne s'agit donc pas d'un récit linéaire, mais de courtes anecdotes juxtaposées les unes aux autres. Les écrivaines ne s'intéressent finalement pas aux grands moments historiques, mais plutôt aux moments nuls et ordinaires de leur existence, selon l'expression des nouveaux romanciers. Ainsi, Marguerite Duras représente une vision fragmentaire de l'Histoire, tandis que pour Sarraute, Ernaux et Colette, le cours de l'Histoire est totalement absent du récit. [...]
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