« Pour être vivante, une légende doit servir », disait Louis Lefebvre. Ce grand philosophe et universitaire québécois traduit bien le rôle des légendes du monde entier. Au sens propre, on les définit comme des « récits à caractère merveilleux, où les faits historiques sont transformés par l'imagination populaire ou l'invention poétique ». On peut donc placer la légende à mi-chemin entre l'histoire vraie et le conte. En effet, la légende est ambivalente. D'un côté, elle a une plus ou moins forte vocation historique, et est couramment utilisée par les archéologues et les ethnologues, car elle fournit des renseignements précieux sur la situation politique, les mœurs, et le mode de pensée d'un peuple à une époque déterminée. Mais d'un autre côté, ses traits fabuleux et le flou qui caractérise ses sources la rapprochent du conte. Cependant, il faut se garder de considérer les légendes comme de simples histoires fantastiques ayant un rôle ludique ou d'expression de la nostalgie du passé par sa glorification. Car s'il existe respectivement pour cela les contes et les récits populaires classiques, c'est que la légende est bel et bien un genre à part. Dérivée du latin « legenda », qui signifie « ce qui doit être lu », la légende est par essence porteuse d'un message, qu'il soit religieux, politique ou moral. Un récit populaire devient une légende dès lors qu'il est mis en forme précisément, puis rédigé avec une vocation d'expansion, et enfin sciemment légué à la postérité. Or cette « officialisation » d'une version du récit et cette volonté de la répandre montre bien que le passage à l'état de légende se fait dans le but de « servir » à quelqu'un, en défendant ses intérêts ou son mode de pensée.
Comme toute légende, celle du roi Arthur correspond à cette caractéristique. Elle est d'ailleurs une des légendes les plus révélatrices du rôle des récits légendaires : apparue dès la fin du VIIème siècle dans les récits populaires gallois, elle s'est ensuite répandue avant de connaître son âge d'or au XIIème siècle. Mais elle n'est pas morte pour autant, et à l'aube du XXIème siècle, elle continue de nous fasciner. Or si la légende du roi Arthur a traversé les siècles, elle ne l'a pas fait sous une forme totalement immuable. Chaque atmosphère dans laquelle elle a baigné l'a modifié à son gré, et elle a été porteuse de nombreux messages. On constate ainsi des modifications importantes de la légende, depuis les premiers récits des exploits d'Arthur jusqu'à la quête du Saint Graal par exemple. Ces transformations de la légende sont loin d'être dues au hasard. Nous avons en effet vu qu'il faut se garder d'oublier l'enjeu que représentent les légendes, car c'est précisément leur rôle qui détermine leur développement puis leur expansion. Afin de comprendre pourquoi la légende arthurienne a survécu et est aujourd'hui une des plus célèbres, des plus riches et des plus fascinantes du monde entier, il faut tout d'abord se poser cette question essentielle : quelle a été l'évolution du message transmis par la légende du roi Arthur depuis ses premières apparitions ?
[...] On voit donc que la légende d'Arthur est très fortement ancrée en Grande-Bretagne. Mais elle l'est aussi dans une moindre mesure en Bretagne armoricaine, où l'on retrouve de nombreux lieux ou légendes qui évoquent le mythique roi. Le vrai Arthur semble donc avoir été la base d'une légende qui se serait élargie, car il est impossible que tous ces lieux aient vraiment accueilli Arthur L'élaboration puis l'expansion de la légende : À partir des éléments historiques que nous venons d'étudier s'est peu à peu constituée la légende d'Arthur. [...]
[...] À partir de 1160, Chrétien de Troyes répand la légende sur le territoire français. Il écrit Erec et Enide, puis Lancelot ou le chevalier à la charrette, Gauvain ou le chevalier au lion et enfin Perceval ou le conte du Graal, qui restera inachevé. L'œuvre de Chrétien de Troyes contribuera à l'expansion de la légende sur le continent, et nous verrons par la suite qu'elle symbolise très bien la greffe d'un idéal à la légende. Mais au-delà de ces œuvres rédigées, la légende s'est répandue que ce soit en Grande-Bretagne ou sur le continent par le biais des récits oraux. [...]
[...] Mais il convient également de s'intéresser aux mécanismes utilisés par cette propagande : outre le renforcement de la légitimité des Plantagenêt, elle s'est aussi consacrée à glorifier Henri II et sa lignée pour renforcer sa position royale. Les œuvres en faveur d'Henri II, qui se multiplient comme nous l'avons vu en cette deuxième moitié du XIIe siècle, dressent un portrait très flatteur du souverain Plantagenêt. L'éloge du prince est omniprésent dans cette littérature. Le Policraticus de Jean de Salisbury en est un exemple des plus frappant. [...]
[...] Conclusion La légende d'Arthur a ainsi été sujette à de nombreuses instrumentalisations au fil des siècles. D'une légende populaire fantastique et héroïque, elle est devenue un lieu de promotion des idéaux courtois puis religieux, avant d'entrer dans la sphère politique. Elle illustre ainsi parfaitement le rôle des légendes. Jamais innocentes, ni vierges de tout message, celles-ci sont au contraire de formidables moyens de promotion d'une idéologie, ou d'un modèle, qu'il soit social, moral ou religieux. Or la légende arthurienne a la particularité d'avoir tour à tour rempli toutes ses fonctions : ses personnages, et à leur tête le roi Arthur, incarnent selon les époques des modèles sociaux, chevaleresques, mais aussi moraux, religieux puis politiques. [...]
[...] Son traitement cinématographique des dernières décennies le montre bien : elle est aujourd'hui perçue comme une légende fabuleuse, avec l'animation Merlin l'enchanteur de Walt Disney, comme une fresque épique avec la superproduction Le Roi Arthur des studios Touchstone, ou bien comme un sujet de dérision comme l'illustrent la comédie Sacré Graal ! des Monty Python, et plus récemment la série télévisée humoristique Kaamelott. Sources Bibliographie L'idéologie Plantagenêt, Amaury Chauou, éd. Presses Universitaires de Rennes II. Les romans de la Table Ronde, et notamment la préface de Jean Pierre Foucher, éd. Folio. Petite Encyclopédie du Graal, Jean Markale, éd. Pygmalion. Les romans de la table ronde, collection Œuvres et Thèmes, éd. [...]
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