Poète, romancier, dramaturge, peintre et auteur, Serge Rezvani est un artiste dont l'oeuvre est protéiforme. L'origine du monde est un roman sur l'art, comme le suggère le titre qui porte sur le tableau de Gustave Courbet (dont le romancier s'inspire). Le narrateur se propose de faire l'étude de la pathologie dite « muséeuse » du « cas Bergamme ». Le nain Bergamme est animé par le désir fou de dérober le célèbre tableau de Gustave Courbet. Celui-ci est en effet persuadé qu'il doit le faire disparaître, car ce tableau dépasse tout entendement par sa perversion. Pour parvenir à ses fins, Bergamme a mis le feu au Grand Musée et a été accusé de la mort du conservateur en chef Gerbrau, ainsi que de trois autres de ses collaborateurs. Il a été enfermé dans un asile psychiatrique pour ces crimes. Fasciné par la folie du nain, le narrateur va choisir d'étudier son cas en détail. Dans le prologue, il nous fait part de son intention : « les pages suivantes ont donc pour unique objet de rendre compte du cas dit: le cas Bergamme à travers la subjectivité de Bergamme lui-même [...] ». Il se place en tant « qu'éthologue de l'art ». L'éthologie comparative étant la science objective du comportement, il s'agit pour le narrateur d'étudier les raisons qui ont poussé le personnage à agir de la sorte. L'extrait qui fait l'objet de notre étude se situe au tout début du roman, il s'agit en effet de l'incipit. Le roman nous présente donc deux sujets qui, en apparence, n'ont aucun rapport : l'art et la folie du personnage.
[...] Avouez qu'à partir du moment où de telles expériences trouvent leur place dans les musées, toute œuvre du passé pouvant prêter à malentendu et être revendiquée par ces anartistes comme œuvre libératoire doit impérativement retourner au secret car ses expériences sont justement le contraire du secret. Remarquons le mépris de Gerbraun par rapport aux propos du nain, mais ajoutons également que le narrateur retourne la situation en faisant de Gerbraun un être incapable de prévoir ce que va vraiment faire le nain. Seul le lecteur se doute que Bergamme agira bel et bien. L'incipit revêt alors son caractère proleptique en nous donnant les clés pour comprendre l'intrigue. III) Un incipit qui présente une critique féroce de l'art du XXe siècle Qu'est-ce qui fait l'Art ? [...]
[...] A la page 27, il dit : compris que cela présageait des temps atroces, qu'il ne fallait pas que des gens comme vous détournent les œuvres du passé qui en leur temps furent provocatrices, pour cautionner de telles abominations». La critique se fait de plus en plus mordante ici avec le terme abominations qui montre le profond dégoût de Bergamme pour ces nouvelles peintures. Rezvani lui-même a toujours entrevu dans le XXe siècle une sorte de mort de l'Art. On peut reprendre ici des propos qu'il a tenus lui-même dans un entretien avec un journaliste de l'humanité. Selon lui, la société était entrée dans «une poétique du désastre». [...]
[...] L'esthétique et l'éthique ont divergé à un moment d'une façon terrible. «L'utopie est morte, c'est le drame de cette époque et on refait l'histoire à l'envers». Dans le discours de Bergamme, on retrouve cette même vision de l'avenir qui fait peur, cette idée d'un monde qui marche à contre-courant et qui régresse inéluctablement et le cas de Bergamme n'est qu'une illustration d'un être soucieux de retrouver une unité originelle dans ce monde de chaos. Conclusion Cet incipit nous présente donc le surprenant personnage de Bergamme, le nain cleptomane, qui veut absolument dérober L'Origine du Monde Le lecteur, guidé par le narrateur, comprend que Bergamme (qu'il jugeait tout d'abord fou à lier) reflète, en réalité, une trop longue exposition à un Art détourné de sa fonction originelle (à savoir de représenter le Beau). [...]
[...] En écrivant cette phrase je pense cependant à Van Gogh qui, après s'être tiré une balle, avait eu le temps de laisser sur un bout de papier ces simples mots: je suis un raté ! Quel grand artiste ne meurt déçu de lui-même, arrivé à l'instant ultime ? Virgile n'avait-il pas demandé que l'on détruise ses écrits ? De même Kafka ? Oui, tout grand créateur ne peut faire autrement que d'agir en destructeur lui aussi raté.» On voit ici le parallèle entre la fin tragique du peintre V. Gogh et celle de Bergamme, que le lecteur ne peut déjà (même si nous sommes qu'au début du texte) que supposer mauvaise. [...]
[...] Pourquoi choisir L'Origine du Monde pour passer à l'acte ? On l'a vu, ce sont en général des tableaux présentatifs plutôt que représentatifs (on reprend ici des termes du passage), c'est-à-dire qu'ils s'attachent davantage à exhiber le corps humain plutôt que de le montrer de façon sublimée, esthétisée. L'Origine du Monde est en cela un exemple, car c'est une représentation du sexe de la femme dont le cadre se limite à la poitrine, au bas des cuisses et qui montre la pilosité du modèle. [...]
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