La culture populaire au Moyen-âge baigne dans le surnaturel qu'il soit « miraculosus » proprement chrétien, « magicus » lié au démoniaque, ou encore « mirabilis », ne relevant ni de Dieu ni du diable.
C'est dans ce climat particulier que la Littérature médiévale se met à représenter des femmes aux multiples visages, fantastiques ou non, créatures au statut fluctuant selon la plume des auteurs. Les fées peuvent aussi bien apparaître comme d'horribles sorcières pratiquant la sorcellerie, que comme des êtres bienveillants attachés à un Autre Monde, le monde faé. Le folklore, dont elles sont issues, sépare les fées en deux grandes catégories. Selon Laurence Harf-Lancner les fées sont soit marraines protectrices possédant un certain pouvoir sur les humains et leur devenir, soit fées amantes et épouses.
Parmi ces êtres se distinguent de nombreuses grandes figures qui, au delà du XIIe siècle, trouveront de multiples échos littéraires, parfois même jusqu'à notre époque. Il en est ainsi de la fée Morgane qui serait née vers 1135 dans l'« Historia regum Britanniae » de Geoffroi de Monmouth (inspiré alors de mythes oraux), et dont la légende n'a cessé d'être réécrite jusqu'à nos jours.
Ce sont, dans un premier temps, les multiples visages de Morgane qui intéresseront notre étude. Nous nous pencherons ensuite plus attentivement sur un cas particulier : l'histoire de Morgane dans le roman Floriant et Florete datant du XIIIe siècle.
I) Les différentes postures de Morgane
A. La guérisseuse, figure positive
Chez Geoffroi de Monmouth, Morgane était une figure savante inspirée de légendes orales mettant en scène une femme surnaturelle, guérisseuse, auprès de laquelle Arthur séjournait dans un monde faé. Elle garde certains de ces aspects au cours du XIIe siècle dans Erec et Enide et Yvain, le chevalier au lion de Chrétien de Troyes. Elle est alors guérisseuse qui soigne aussi bien le roi Arthur qu'Yvain et Lancelot.
[...] Cette figure de femme surnaturelle qui aime sans retour et jusqu'à la haine rappelle la déesse celtique irlandaise Morrigan. On peut notamment considérer la Táin Bó Cúailnge, récit faisant partie du corpus littéraire de la mythologie celtique irlandaise, dont la date de composition reste incertaine : le plus vieux manuscrit daterait du XIe mais le vieux et moyen irlandais utilisés correspondraient plus probablement au VIIIe ou IXe siècle. (...)
[...] On peut donc se demander si le cerf n'était pas Morgane elle-même. Morgue s'inscrirait ainsi dans un des grands motifs de la littérature médiévale, à savoir celui de la double nature de la fée : femme et animal. De plus, cette métamorphose (bien qu'elle ne soit que supposée car non explicite) confirmerait les talents de magicienne de Morgane qui pour l'instant ne se sont manifestés que par son don prophétique et sa capacité à enchanter des objets (ou créer tout simplement des objets aux vertus magiques). [...]
[...] On voit à cette occasion que le jeune homme n'a en rien souffert d'être enlevé à ses parents, bien au contraire. Cet enlèvement lui aura de plus empêché de vivre dans un château assiégé x années avant de se retrouver impuissant à l'âge adulte puisque sans formation chevaleresque. «Quant de moi fustes delivree, Par dedanz la forest ramee, Morgain a vous par nuit m'enbla Droit a Mongibel m'en porta. Bien me fist norrir et garder Et de touz les ars doctrinner. [...]
[...] La cour d'Arthur ainsi que Floriant, après le service des eaux a pris place pour le repas. C'est alors que dans le port arrive une barque avec une jeune fille à son bord. Atant arriva, ce m'est vis, Tot droit au port une nassele, Mes onques hons ne vit se bele. Unne pucele en est issue, Ele ne fu pas esperdue ; Ens el palais en est montee v. 2496-2501 Même si le texte mentionne tout d'abord une nassele et non plus une nef on peut supposer que le départ de la nef féérique offerte à Floriant avait pour but de lui faire parvenir un message de Morgane. [...]
[...] Le lecteur apprend ensuite le motif de cet appel de la fée (qui précise avoir envoyé elle-même le cerf). Celle-ci, pour protéger Floriant d'une mort certaine et inévitable, l'a fait venir dans un château enchanté qui rappelle tout à fait Avalon car la légende répandue veut que Morgane, au jour de la mort d'Arthur, y emmène son frère. Or, il est dit de ce château : Que cist chastiaus si est feez - Sachiés que ço est veritez - Nus hons ne puet çaienz morir. [...]
[...] Les fées emportent l'enfant, le baptisent et lui donnent le nom de Floriant à peine arrivé dans leur château de Mongibel. Il est ensuite fait mention du bon traitement qu'elles lui accordent : Bien le font norrir et garder v A peine quelques vers plus loin, le narrateur en revient à Floriant et aux fées qui Bien le norrirent et garderent V Suit alors un portrait de Floriant, à 7 ans, qui indique une éducation conforme aux préceptes des Arts poétiques enseignés à l'époque aux clercs et à certains jeunes nobles. [...]
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